Notre jolie trouvaille du jour s’appelle Lysimachia tenella, ou Mouron délicat. Tout un poème. Cette petite plante vivace de la famille des Primulacées, mesurant entre 5 et 12 centimètres, guère plus, apprécie la vie au ras du sol. Ses fines tiges quadrangulaires rampent élégamment sur leur substrat, en épousant sa forme. Elles portent ça et là d’infimes feuilles vert tendre toutes rondes, opposées deux à deux, puis se redressent pour soutenir de charmantes fleurs rose pâle aux nervures plus sombres, en forme de clochette. 

De mœurs modestes, cette pionnière n’est pas une gourmande : au contraire, elle affectionne les milieux détrempés et ouverts, pauvres en nutriments, sur lesquels elle forme de délicats tapis rose tendre en été. 

Longtemps classée sur la liste rouge régionale de la flore vasculaire de Picardie, cette plante discrète donnait de bonnes raisons de se faire du mouron. Mais bonne nouvelle : depuis quelques années, son statut a été révisé par la communauté scientifique. Toutefois, ne nous réjouissons pas trop vite : des menaces pèsent toujours sur cette beauté fragile, qui n’a franchement pas l’esprit de compétition. Ses plus grands périls ? La pollution des eaux, leur eutrophisation et l’embroussaillement de son habitat. Elle demeure donc protégée dans notre région.

Texte : Cécile Carbonnier / Illustrations : Nathanaël Herrmann, Cécile Carbonnier

Herbe de Bacchus, cela vous parle-t-il ? Herbe de Saint-Jean peut-être ? Essayons Herbe à dents. Non plus ? Il s’agit du Lierre grimpant ! Cette plante porte de nombreux noms vernaculaires, liés notamment à la période à laquelle il était cultivé, ou encore à l’utilisation qu’on en faisait. En latin, on le nomme Hedera helix (Haerere = être attaché / Helix = enrouler, enlacer).

Faisons un bond dans le passé : Hedera a donné naissance au mot edre, dans un très ancien français. C’était au 10ème siècle, vous en souvenez-vous ? Au fil des siècles, le mot edre a évolué pour devenir iedre. Lui-même s’est transformé en iere. Ajoutons à cela un article devant le mot, et de l’iere voilà que nous obtenons : lierre !

Restons encore un peu quelques années en arrière. Voici un aperçu rapide de son incroyable épopée : il est arrivé sur Terre il y a plus de 100 millions d’années (au Crétacé, durant l’ère secondaire) quand le climat était tropical ; si votre mémoire vous fait défaut, vous êtes tout pardonné. C’est une des rares plantes à avoir résisté aux grands changements climatiques qui suivirent cette ère, et il fait aussi partie des rares lianes que nous trouvons en Europe. En Italie, certains spécimens ont un peu plus de 400 ans mais si le support s’y prête, il peut être millénaire ! Symbole d’éternité donc, mais aussi d’amour et/ou de fidélité du fait de son emprise forte et tenace autour de son hôte.

Le lierre, une plante qui nous veut du bien, vraiment ? Eh bien oui ! Mais avant d’essayer de vous en convaincre, voici de quoi redorer son image : cette liane arborescente, constamment à la recherche de la lumière, a besoin d’un support. L’arbre en sera un parfait exemple. Notre plante ne cherchera jamais à grimper jusqu’à la cime de l’être choisi, et en aucun cas elle ne l’étouffera. Cela reviendrait à la condamnation même de notre herbe de Saint-Jean. Tout au contraire, il existe une synergie entre ces 2 espèces : il protège le tronc des trop grandes variations de température. Il joue donc un rôle de régulateur thermique. Il est gage de bonne santé : il abrite une faune si riche qu’il est l’un des éléments essentiels à la biodiversité. Il régule les parasites, il sert d’abris pour les insectes. Ses fruits, qu’on retrouve en hiver, sont un précieux garde-manger pour les oiseaux. Également, c’est un très bon couvre-sol : il permet de maintenir une humidité au pied de l’arbre. Et enfin, faisons taire les on-dit une bonne fois pour toute : « On dit qu’il se nourrit de la sève ». Absolument pas ! Ce n’est pas un parasite mais une aide de vie précieuse ! Cet équilibre entre l’arbre et le lierre ne sera rompu que si l’arbre s’affaiblit par la maladie ou la vieillesse : son feuillage sera moins dense, ce qui permettra à la photosynthèse du lierre d’être améliorée et sa croissance n’en sera que meilleure.

Va-t-on enfin savoir en quoi il nous est utile ? Nous y voilà mais sachez-le, il y aura une déception certaine du côté des gourmands car il n’est pas comestible tel quel. Il est cependant fort utile en usage externe. Pour les problèmes de peau, par exemple. Avec les feuilles lobées (et non pas les entières) un macérat huileux* sera parfait mélangé avec des pâquerettes. Le lierre a aussi été testé et approuvé en lessive par quelques guides du Parc : c’est une plante qui possède des vertus moussantes et détergentes grâce à la saponine naturellement présente dans les feuilles.

Nous pourrions bavarder sur le sujet pendant de longues heures encore, mais contentons-nous, pour aujourd’hui, de ces quelques paragraphes. Et si le coup de sécateur vous démange, avant de porter le coup fatal, venez vous rafraîchir la mémoire en relisant cet article sur l’utilité incroyable de cette plante relique.

Petit bonus pour les plus observateurs : aviez-vous remarqué que certaines feuilles luisaient, brillaient plus que d’autres ? C’est dû à la couche de cutine qui les recouvre. Une sorte de cire imperméable !

* Macérat huileux : Une base d’huile végétale à laquelle on ajoute des ingrédients naturels selon les besoins (lierres, pâquerettes, pissenlits etc.) et qui y déverseront toutes leurs vertus pendant plusieurs semaines.

Texte et illustrations : Eugénie Liberelle

C’est en arrivant sur le Parc, dans la panne dunaire face au pavillon d’accueil, que vous pourrez observer cette discrète fleur aux couleurs peu habituelles et à l’odeur de girofle, l’Orobanche du gaillet (Orobanche caryophyllaceae).

Cette petite plante pousse en milieux sableux. Elle peut mesurer entre 15 et 60 cm et possède une quinzaine de fleurs de couleurs jaunes voire rosées se trouvant à l’aisselle de ses feuilles. Celles-ci sont réduites puisqu’elles sont sous forme d’écailles. L’Orobanche fleurit entre mars et juin. Elle est d’autant plus discrète qu’elle n’est visible à la surface du sol que lors de cette période de floraison.

Ses couleurs pâles sont dues à son mode de vie particulier. En effet, l’Orobanche est une plante holoparasite, c’est-à-dire qu’elle ne possède pas de chlorophylle et ne réalise donc pas de photosynthèse. Elle survit grâce à l’hôte qu’elle parasite, ici le gaillet dont elle est complètement dépendante. L’Orobanche se fixe à son système racinaire grâce à un organe spécialisé : l’haustorium. C’est par cet organe qu’elle prélève directement depuis les vaisseaux de son hôte, sels minéraux, eau et matières carbonées.

Ses graines présentes dans le sol ne vont germer qu’en présence de molécules émises par les racines de la plante hôte. La durée de vie des graines est plutôt longue, environ 10 ans. Malgré cela, elle n’est pas une espèce menacée en France, mais elle est considérée comme en danger sur le territoire picard.

Texte et illustrations : Lucie Ligault

Le long des allées fraîches et ombragées du Parc se dresse fièrement une jolie plante herbacée : l’Alliaire officinale (Alliaria petiolata). Cette Brassicacée bisannuelle se reconnaît à ses petites fleurs blanches disposées en croix à l’extrémité de sa longue tige robuste, ainsi qu’à ses feuilles en forme de cœur grossièrement dentées. Froissez-en une entre vos doigts, et inspirez profondément : reconnaissez-vous ce doux parfum d’ail ? C’est cette fragrance qui lui a donné son petit nom ! 

L’Alliaire est d’ailleurs parfaitement comestible : ses tiges sucrées rappelant le chou, ses racines au bon goût de radis et ses feuilles délicatement aillées relèvent à merveille pistous, salades et autres poêlées… à condition de les incorporer fraîches et finement ciselées, afin qu’elles ne perdent pas leur saveur à la cuisson. Ses graines peuvent également remplacer celles de la moutarde dans la recette du condiment du même nom. Si les fins gourmets adorent qu’elle leur chatouille le nez, les herbivores sauvages en revanche n’apprécient guère la piquante Alliaire : l’arsenal chimique responsable de son goût vif (les glucosinolates) est bel et bien destiné, à l’origine, à décourager les gourmands !

Notons que son utilisation dans la cuisine occidentale ne date pas d’hier. En effet, des traces de graines ont été retrouvées dans des dépôts de nourriture sur des poteries vieilles de 6000 ans. Quel plat servaient-elles à assaisonner ? La Préhistoire ne le dit pas !

Mais ses propriétés culinaires ont conduit les Hommes à l’introduire en Amérique. Fâcheuse idée : l’Alliaire est parvenue à s’échapper des cultures, et à conquérir tranquillement les sous-bois du Canada et des Etats-Unis, où elle est devenue par endroits la principale herbacée envahissante. Souhaitons que sa saveur piquante soit un jour au goût des herbivores du secteur, afin qu’ils contrôlent sa folle expansion. Décidément, la gourmandise…!

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier

S’il y a des êtres vivants sur le Parc qu’on ne peut manquer tant ils sont nombreux et visibles, il en existe d’autres bien plus petits et plus discrets, passant souvent inaperçus aux yeux des visiteurs : les champignons. En omelettes, farcis, gratinés, pas de doute, ils savent nous mettre l’eau à la bouche. Mais avant de les passer à la casserole, avez-vous déjà pris le temps de les observer dans leur milieu naturel ? Leur taille, leur couleur, leur milieu de vie diffèrent beaucoup d’une espèce à une autre ; et leur forme également. C’est sur ce dernier aspect physique qu’un champignon actuellement présent sur le Parc mérite quelques explications.

Les géastres ou étoiles de terre (du grec geo = terre, et aster = étoile) possèdent une enveloppe extérieure, qui recouvre entièrement le champignon au début. Elle va, par la suite, éclater à maturité et se séparer en lanières qui s’étaleront en étoile. Puis ces lanières se recourberont sous le champignon, le soulevant au-dessus du sol sur lequel le géastre n’aura plus aucune adhérence.

Lorsqu’il est sous sa forme “étoilée”, nous pouvons observer la partie centrale du champignon, appelée carpophore. Sans cette boule, aucune possibilité de reproduction pour le géastre. C’est en effet dans cet organe que se trouve la partie productrice contenant les spores : la gléba. Lorsque le champignon subit une pression (piétinements de mammifères, branche qui tombe etc.) les spores sont éjectées du carpophore par un orifice placé au sommet : l’ostiole. Ils contribueront à la formation de nouveaux géastres.

Il existe plusieurs espèces de géastres, pas toujours facile à distinguer : Géastre sessile, Géastre vulgaire, Géastre à 3 couches etc. Certaines peuvent être observées dans des vieilles forêts de conifères, d’autres apprécieront des terrains siliceux et sablonneux.

Texte : Eugénie Liberelle / Illustration : Cécile Carbonnier

Avec ce début de la morte saison et la baisse de la durée du  jour, les fleurs sauvages et du jardin se fanent… Une vraie privation de ressources annuelle pour nombre d’insectes, qui voient les bars à pollen et à nectar fermer les uns après les autres. 

Heureusement le lierre, véritable « couteau suisse de la nature », a la bonne idée d’ouvrir son auberge, à l’inverse des autres qui baissent pavillon ! Et là, c’est la ruée de tous les assoiffés à ailes : syrphes, abeilles, éristales, papillons, longicornes et multiples mouches. Le bistro est vaste, même si les places sont volontairement serrées. 

Chaque ombelle du lierre abrite plusieurs dizaines de discrètes (et moches, mais chut !) fleurs avec 5 étamines, porteuses du pollen, et 5 pétales. Elles vont recevoir avec bienveillance – mais surtout avec intérêt, pour être pollinisées – ces multiples petits clients ailés en mal de convivialité. On parle toujours bien des insectes !

Rapidement, il n’y a plus un grain de pollen. Alors la fleur change de cocktail, et propose le suintement du nectar sucré… encore plus attractif !

Alors après le bar à bières, le bar à eau… testez le bar à lierre ! Observez, contemplez, prenez des photos de tous ces butineurs pour participer au programme de sciences participatives du Muséum de Paris. Et procurez-vous obligatoirement les numéros 106 et 107 de la revue la Hulotte, (www.lahulotte.fr) consacrés à cette merveilleuse plante mal comprise, peu connue, et pourtant si accueillante qu’est le lierre.

Texte et illustrations : Philippe Carruette

La Blackstonie, ou Chlore perfoliée, de la famille des gentianes, est une plante facilement reconnaissable sur le Parc. Ses belles fleurs jaunes portant de 6 à 10 pétales, disposées en cyme, apparaissent en début d’été. Mais ce qui est le plus caractéristique, ce sont ses feuilles obovales opposées soudées, d’où le qualificatif de perfoliée, la tige donnant l’impression de percer à travers les feuilles.

Elle pousse sur les sols calcaires des dunes, des marais ou des coteaux, où il existe peu de concurrence avec les autres plantes. 

Il semble que depuis ces dernières années, elle soit nettement moins présente sur le Parc. Est-ce l’effet des étés secs qui font griller la plante avant la formation de petites capsules contenant les prochains semis dispersés par le vent ? Ou de la dynamique végétale forte, notamment sur le début du parcours, accentuant la compétition pour cette belle pionnière ? Relativement commune mais en diminution en France, elle bénéficie pourtant d’une protection dans certaines régions comme l’Alsace et la Lorraine.

Texte et illustration : Philippe Carruette

Dans les zones fraîches et humides du Parc se dressent de grandes plantes herbacées à la silhouette gracile, émaillées de charmantes fleurs d’un rose intense : ce sont les Épilobes à grandes fleurs (Epilobium hirsutum), également appelées Épilobes hirsutes en raison des petits poils hérissés qui parsèment leur tige souple et robuste. Pouvant atteindre 1,80 mètre de hauteur, elles apportent une note de couleur joyeuse à la mégaphorbiaie, cette formation végétale hétérogène et dense constituée de hautes plantes vivaces, caractéristique des sols riches et humides, qui ourle nos marais. 

La corolle de la fleur est composée de quatre pétales très échancrés, en forme de cœur. Au centre de cet écrin rose, on distingue une petite croix blanche : il s’agit du stigmate – l’extrémité du pistil, l’organe reproducteur femelle de la fleur – prêt à accueillir les grains de pollen que déposeront syrphes et bourdons en butinant. Huit étamines – les organes mâles – forment une ronde autour de lui. 

Les Épilobes accueillent nombre de résidents en tous genres, parmi lesquels la chenille du Grand Sphinx de la Vigne (Deilephila elpenor), qui s’en délecte. On la reconnaît à ses ocelles blancs et noirs, qui rappellent le signe du Yin et du Yang. Lorsqu’elle est stressée, elle rentre la tête dans son thorax, se redresse, et gonfle l’avant de son abdomen ; puis elle entame une drôle de danse, se balançant de droite à gauche telle un serpent. Les “yeux” sont ainsi mis en évidence, et peuvent déconcerter le prédateur le plus téméraire !

Dans quelques jours, la chenille quittera sa plante nourricière pour errer un temps, avant de s’enterrer dans une loge rudimentaire, où elle se nymphosera. Les fleurs des Épilobes, quant à elles, auront fané. Ne resteront que les fruits, fines capsules sèches renfermant les précieuses graines. Munies de longues aigrettes de soie – que l’on utilisait jadis pour la confection de mèches à lampes – elles s’envoleront à la moindre brise. Anémochorie, ou quand le vent disperse la vie… 

Texte : Cécile Carbonnier / Illustrations : Alexander Hiley, Cécile Carbonnier, Marion Mao