Le 24 juillet 2018, dans la héronnière, une Aigrette garzette est notée en train de nourrir trois grands poussins de Hérons cendrés. Couvaison d’œufs de Héron cendré ? Adoption – mais ce n’est pas le “genre” des Ardéidés…?
Les jeunes Hérons cendrés semblent assez pâles et petits, malgré le développement quasi fini du plumage. Les branches de pins dissimulant le nid ne permettent pas une observation précise. Ces jeunes, estimés âgés de 5 semaines – si on se base sur des poussins de Héron cendré – ont tendance à vouloir quitter le nid et se déplacer sur les branches alentour, comportement typique de poussins d’aigrettes, et non de Hérons cendrés pour cet âge.
Le 12 août, un jeune Héron cendré est observé volant ; il se pose dans un saule à proximité. Le 15 au soir, il est vu pêchant à l’affût des insectes en marais d’eau douce proche de la héronnière. Il présente une partie de la face blanche, des rémiges en grande partie blanches, des pattes courtes verdâtres, et une taille intermédiaire entre une Aigrette garzette et un Héron cendré. Le 22 août, un Héron cendré immature (donc une femelle) nourrit les deux jeunes non encore volants au nid.
Nous avons bien affaire à un couple mixte Héron cendré femelle / Aigrette garzette mâle. Un jeune Héron cendré présentant des caractères d’hybridation, mais moins marqués que celui du 12 août, est observé le 16 septembre dans le parcours d’observation, probablement un des autres jeunes du nid. Cela correspond parfaitement, cette année-là, à des gloussements – parade nuptiale – très tardifs de mâles d’Aigrettes garzette, jusque fin juin (dates les plus tardives depuis la nidification de l’Aigrette garzette sur le Parc en 1987). Il est probable que faute de partenaire disponible pour ce mâle d’aigrette, un couple mixte se soit formé.
En 2022, un nouveau couple mixte est repéré, avec un premier jeune volant le 12 juillet. Le 19 juillet, un second, différent dans son pattern, a quitté le nid depuis peu, et est encore nourri par une Aigrette garzette. Est-ce le même couple qu’en 2018 ? Il est peu probable, car on voit que ces individus nichent très tardivement, laissant penser à une formation de couple en fin de saison de reproduction, par défaut, a priori, de femelle d’Aigrette garzette. Mais cette année 2022 n’est pas caractérisée par des parades tardives d’aigrette…
En 2024 avec un printemps sans chaleur, gris, pluvieux et venteux, la reproduction sur la héronnière prend 15 jours de retard. Alors que les premiers gloussements d’Aigrettes garzette sont entendus dès le 19 mars, au moins 12 mâles sont encore chanteurs le 20 mai et un mâle parade encore le 20 juin.
Le 10 juillet, un jeune Héron cendré venant à peine de quitter le nid est observé sur des branches en lisière. La tête est blanc gris, des marques blanches sont bien visibles sur les épaules et le dos. Lors de son envol furtif vers le centre de la héronnière, on remarque que l’ensemble des rémiges secondaires et tertiaires sont blanches, et l’aspect général donne un camaïeu de blanc et de gris pour un oiseau compact. Comme pour les oiseaux hybrides des années précédentes, l’oiseau semble très méfiant, se maintenant en position cou replié et ramassé sur lui-même. Etonnant comportement de discrétion et d’effacement qui contraste avec l’énergie des jeunes Aigrettes garzettes et Hérons cendrés !
Les cas d’hybridation entre deux espèces d’Ardéidés ne sont pas rares, mais ils concernent souvent des oiseaux élevés en captivité ou appartenant au même genre. Des cas d’hybrides Héron pourpré/Héron cendré ou Aigrette garzette/Héron garde-bœufs sont ainsi connus en France. Au Parc du Zwin en Belgique – mais cette fois en captivité en volière – un couple Héron cendré/Aigrette garzette avait produit des jeunes en 1983 et 1985. En janvier 2008, dans une saline de Sardaigne, un hybride Grande Aigrette/Héron cendré est décrit par des ornithologues italiens. L’année dernière enfin, un hybride Héron bihoreau/Aigrette garzette est observé dans le Pas-de-Calais.
Texte : Philippe Carruette / Illustration : Raphaële Thilliez
Hello L.O., barge fidèle !
Il est des oiseaux que l’on a bien du plaisir à revoir. Pas en tant qu’espèce rare et exceptionnelle, mais en tant qu’individu. Un peu comme une vieille connaissance que l’on ne voit qu’une fois par an lors d’une fête de famille ou une réunion de club… naturaliste bien entendu ! Grâce à son cortège de bagues couleur, RW-LO (bague rouge et blanche à la patte gauche et vert pistache et orange à la patte droite, bague métal Muséum sur le tarse), on reconnaît bien “notre” Barge à queue noire grande habituée du Parc en migration postnuptiale.
C’est un superbe mâle bagué adulte sur son site de reproduction dans le comté de Arnessysla à Grimsnes au sud de l’Islande le 13 juillet 2011. Lieu grandiose de chutes d’eau, volcans et landes au sud-est de Reykjavik. Chaque année, sans aucune exception, elle est revue au Parc du Marquenterre en migration postnuptiale. Elle est contactée généralement en juillet (le 11 en 2022, le 12 en 2017 et 2023, le 19 en 2014, le 25 en 2021, le 27 en 2016, le 29 en 2020) en août (le 3 en 2018, le 10 en 2019, le 20 en 2011, le 18 en 2013, le 30 en 2015) voire septembre (le 2 en 2012).
En 2024, nous la retrouvons pour la première fois le 8 juillet, date la plus précoce de retour. A-t-il échoué dans sa reproduction ? Cette précocité se retrouve toutefois ces toutes dernières années, conséquence possible des changements climatiques qui, peut-être, avancent les dates de nidification, et font migrer l’oiseau plus tôt.
Son séjour estival sur le Parc se prolonge jusqu’en fin d’automne, montrant la qualité nutritionnelle du lieu pour l’espèce ; puis elle nous quitte au plus tard le 26 novembre 2011 et le 17 novembre 2013, mais le plus souvent début octobre. On ignore totalement où elle passe l’hiver sauf dans deux cas : le 31 décembre 2015 elle est présente sur le Parc et le 9 janvier 2023 dans la baie du Mont-Saint-Michel dans la Manche.
En migration de printemps, l’oiseau est observé uniquement aux Pays-Bas, surtout dans la région d’Ouderkerk (Noord Holland). Ce trajet est le plus fréquenté en matière de haltes migratoires avant de gagner l’Angleterre, l’Ecosse puis l’Islande. Il arrive aux Pays-Bas au plus tôt le 1er février 2023 et repart au plus tard le 8 avril 2023, soit deux mois de halte nourricière indispensable pour gagner le site de reproduction en pleine forme.
On constate que plus cet oiseau arrive tôt aux Pays-Bas, plus il repart tard. Les dates de retour de printemps en Islande sont peu nombreuses mais montrent tout de même une grande régularité : 21 avril 2012, 15 avril 2018 et 2019, 14 avril 2022. 2013 fait exception avec un contact le 5 juin, mais cette année le printemps fut particulièrement froid et pluvieux dans toute l’Europe !
Au delà de tout le remarquable intérêt scientifique du baguage, il y aussi ce fort côté émotionnel de connaître et reconnaître un individu, et de partager ce plaisir avec tant d’autres yeux européens qui ont cette passion du vivant migrateur au-delà des frontières, offrant une image de l’Islande que je ne connaîtrai jamais. Alors à bientôt LO, ici ou ailleurs !
Et pour consulter le CV de “notre” RW-LO, c’est ici… RW-LO
Texte : Philippe Carruette / Illustration : Alexander Hiley