Parfois rares, souvent drôles, toujours de bon augure : découvrez ici les oiseaux qui nous ont rendu visite

Fin avril début mai est toujours une belle période pour croiser le chemin migratoire des trois espèces de guifettes qui passent brièvement au-dessus du Parc pour gagner le nord-est de l’Europe.

Samedi 3 mai, une Guifette moustac a passé toute la matinée à papillonner au-dessus du poste 2 pour capturer des insectes à la surface de l’eau, se posant par instants sur les bancs de sable pour se reposer, le bec dans les plumes du dos. Un adulte avait aussi été photographié le 18 avril.  L’espèce est irrégulière en migration sur le Parc. De 1973 à 1993, elle est observée cinq fois dont quatre en migration postnuptiale. De 1994 à 2024, elle fait l’objet de dix observations en migration prénuptiale du 20 avril au 11 juin, et quatre observations en migration postnuptiale du 7 juillet au 10 septembre.

Entre 3300 et 3400 couples nichent en France en colonie sur les grands lacs et étangs d’eau douce riches en végétation flottante, en Brenne, marais de Brière et lac de Grand Lieu, Dombes, Forez et Sologne. Après une nette augmentation des effectifs, une baisse sensible des couples nicheurs se produit depuis 2021.

La Guifette noire est plus régulière, et cette année quelques oiseaux ont déjà stationné sur les grands plans d’eau des postes 4 à 6 fin avril. Encore plus petite et fine que la moustac, ses papillonnements au-dessus de l’onde sont tout en grâce, et un vrai plaisir à suivre aux jumelles. Hélas les oiseaux ne restent souvent que quelques instants sur le Parc, avec un maximum de 36 oiseaux le 13 mai 2005 et 49 le 21 août 2016. Des juvéniles peuvent être observés jusque fin octobre.

Cette espèce est particulièrement en déclin en France, avec seulement 150 à 350 couples nicheurs, dont 80% sont sur le lac de Grand Lieu en Loire Atlantique, le reste étant en Vendée (réserve de Saint Denis du Payré), en Brenne et Sologne. Elles ont également une situation défavorable au niveau européen du fait de leur forte exigence écologique, les colonies s’installant sur de la végétation flottante.

Une troisième espèce, la Guifette leucoptère, qui niche en effectifs importants en Europe de l’est, n’a pas été vue sur le Parc en migration depuis 2020. Quatre observations ont eu lieu de 1973 à 1992 et douze de 1993 à 2024.

Toutes ces fragiles petites sternes d’eau douces vont surtout hiverner en Afrique de l’Ouest, notamment dans le Golfe de Guinée, mais aussi jusqu’en Afrique du Sud. Notons au passage que le terme “guifette” serait d’origine picarde ! Buffon, dans son Histoire naturelle des oiseaux, écrit ainsi : “Nous adoptons pour cette espèce d’hirondelle de mer le nom de guifette qu’elle porte sur nos côtes de Picardie”.

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Foucauld Bouriez

Alors que la saison de reproduction bat son plein, impossible de se déplacer sans être accompagné de chants d’oiseaux. Ils retentissent de toutes parts, transformant chaque chemin en véritable orchestre. Le Phragmite des joncs se laisse écouter en tout point du Parc, les Pouillots véloces et les Pouillots fitis rivalisent de leurs ramages au milieu des saules, et à ces chanteurs précoces sont venus s’ajouter Rossignol philomèle, Grive musicienne, et le métronomique Coucou gris, entre autres. Il est alors facile pour l’esprit de se perdre dans une contemplation musicale, entraînante et inspirante.

Nombre de compositeurs à travers les époques nous ont laissé dans leurs œuvres des preuves du dialogue incessant entre la nature et les arts, ici musicaux, alors embarquons aujourd’hui pour un tour d’horizon (non-exhaustif) des œuvres musicales inspirées de chants d’oiseaux, voire directement composées à partir d’eux.

Le nom d’Olivier Messiaen vient souvent à l’esprit lorsque l’on évoque les chants d’oiseaux dans la musique. En effet, le titre de son œuvre de 1959, Catalogue d’oiseaux, est très évocateur et ne laisse pas de doute possible quant à la source de ses pièces. Il faut néanmoins user de beaucoup d’imagination pour retrouver l’Alouette lulu, la Rousserolle effarvatte, ou encore la Bouscarle de Cetti entre les lignes des portées. Il le précisait d’ailleurs lui-même, il ne faut pas chercher l’oiseau seul dans les notes, mais aussi les provinces, les paysages, les couleurs…

Messiaen est cependant loin d’être le seul à s’être inspiré de nos voisins ailés, et ce sont de nombreuses espèces que l’on peut reconnaître plus ou moins distinctement au gré des œuvres musicales de ces derniers siècles.

Plongeons par exemple au début XIXème siècle, alors que le classicisme cède la place au romantisme et que les artistes se tournent vers la nature. Dans sa Symphonie n°6, dite Pastorale, Ludwig Van Beethoven cite directement sur sa partition le rossignol, la caille et le coucou, respectivement interprétés par la flûte, le hautbois et la clarinette à la fin du deuxième mouvement. Ces chants viennent compléter un tableau de scène au bord d’un ruisseau, où les cordes frottées imitent les ondulations des flots.

Toujours dans ce siècle du romantisme, en 1886, c’est au tour de Camille Saint-Saëns de proposer un véritable bestiaire avec le Carnaval des Animaux. Les oiseaux y ont la part belle, évoqués sur quatre des morceaux de cette suite. Dans « Poules et Coqs », les instruments de l’orchestre se livrent à une imitation inattendue de caquètements. Pour « Le Coucou au fond des bois »,  c’est à nouveau la clarinette qui est choisie pour répéter inlassablement (21 fois) la si reconnaissable tierce du fameux cuculidé, alors que le piano nous évoque les pas prudents de l’observateur qui tente de s’approcher discrètement de l’oiseau. « Volière » emmène l’auditeur au milieu d’un gracieux tourbillon de bruissements d’ailes et de gazouillis, grâce aux trilles de la flûte, doublée par le piano et soulignée par les trémolos des cordes. Enfin, dans « Le Cygne », Saint-Saëns nous offre une magnifique interprétation au violoncelle et au piano de la légende de son chant. Selon une croyance de la Grèce antique, le cygne, connu pour son cri dissonant, chanterait divinement bien juste avant de mourir. De là nous vient l’expression du « chant du cygne », pour désigner une ultime œuvre remarquable, un moment de grâce final. 

La liste est encore longue, entre les oiseaux évoqués dans « Le Printemps » des Quatre saisons de Vivaldi (1725), l’oiseau et le canard du conte symphonique Pierre et le Loup de Sergueï Prokofiev (1936), mais revenons au XXI ème siècle pour terminer notre exploration musicale avec le talentueux Cosmo Sheldrake, artiste multi-instrumentiste et compositeur anglais.

Dans son album Wake-up Calls, chaque titre est associé à une espèce d’oiseau menacée du Royaume-Uni. Les chants des oiseaux concernés ont été enregistrés par l’artiste entre 2011 et 2020, puis retravaillés et associés afin de créer 13 pistes avec chacune leur musicalité et leur ambiance. L’album s’ouvre sur l’engoulevent et se clôture avec les chouettes, et nous offre entre les deux de véritables paysages sonores de l’aube au crépuscule. Fervent défenseur de l’environnement, Cosmo Sheldrake considère ses morceaux comme des œuvres collaboratives inter-espèces, et souhaite créditer autant que lui-même le Butor étoilé, la Rousserolle verderolle ou la Grive draine. Et c’est précisément ce qu’il a fait en créditant « La Nature » sur ses albums et en reversant 50% de ses droits d’auteurs à des associations naturalistes à travers la fondation « Earth Percent » et au programme de fonds « Sounds Right ».

Voici une belle invitation à tendre l’oreille pour profiter des talents de la plus grande de toutes les musiciennes : la Nature. 

Texte : Lauriane Savoie / Illustrations : Alexander Hiley

La période de nidification chez les oiseaux au Parc du Marquenterre s’est enfin décidée à débuter. En effet, du retard est constaté cette année, dû peut-être aux températures fraîches de ce début de printemps. 

Comme chaque année, ce sont les Cygnes tuberculés, les Foulques macroules, les Hérons cendrés et les Cigognes blanches qui ouvrent le bal. Néanmoins, un couple de Grèbes castagneux a construit un nid incognito au pied du poste 9, fidèle à cet emplacement pratique, puisque protégé par les branches d’Argousiers.

Saviez-vous que cet oiseau à la morphologie si particulière n’appartient pas à la famille des Anatidés – autrement dit canards, oies et cygnes – mais à celle des Podicipédidés ? Les pattes des grèbes étant situées très à l’arrière du corps, on le surnomme parfois “Pattes-au-cul” ! D’un point de vue étymologique, « castagneux » vient du latin en référence à sa tête couleur châtaigne

Le Grèbe castagneux construit une belle nacelle flottante composée presque exclusivement d’algues. 4 à 6 œufs sont  pondus généralement entre avril et septembre ; notre couple, qui a déjà pondu deux œufs, est donc plutôt précoce ! Ceux-ci seront couvés pendant 20 à 25 jours à tour de rôle. Ces pontes sont précédées de magnifiques parades face à face, chacun avec une algue dans le bec. 

Une fois les juvéniles nés, ils seront transportés sur le dos d’un des parents pendant que l’autre partenaire les ravitaillera en petits poissons n’excédant pas 10-15 cm pendant une dizaine de jours ; âge à partir duquel les poussins sauront nager. Mais ils resteront dépendant des deux adultes pendant environ deux mois.

Texte : Foucauld Bouriez / Illustrations : Alexander Hiley, Foucauld Bouriez

Lors des belles journées ensoleillées, la héronnière bat son plein. Les oiseaux ont fini par revenir bien tardivement, seulement à partir du 10 mars, provoquant l’inquiétude de toute l’équipe. Le mauvais temps, avec surtout le vent, le manque crucial de lumière, les gelées matinales sans soleil et d’autres causes inconnues ont bien retardé les arrivées. 

Les grands échassiers sont arrivés particulièrement tard cette année. Les premiers Hérons cendrés visitent la colonie le 20 février, mais n’y restent pas longtemps ; ils sont 42 le 28 février et 32 à 34 couples le 7 mars, date à laquelle on note seulement les premiers transports de matériaux, qui s’intensifient vraiment les 12 et 14 mars avec les belles lumières. 

Retard aussi pour les Spatules blanches par rapport à l’année dernière (mais année très précoce) avec l’arrivée dans la colonie des premiers oiseaux le 3 mars, et un minimum de 89 oiseaux le 10 mars. Les transports de matériaux sont encore peu nombreux : n’oublions pas que bien des oiseaux arrivent de Mauritanie ou du Niger… Nos gelées matinales sont un accueil pas vraiment “chaleureux” ! Des oiseaux de trois ans peuvent encore commencer à s’installer jusqu’à début mai, et de nombreux individus reviennent encore de leurs lointains lieux d’hivernage sahéliens durant plus d’un mois. 

Les premières Aigrettes garzettes sont notées sur la colonie le 7 mars, date plutôt précoce pour cette espèce sur le site, et le 9 mars pour le premier Héron garde-boeufs. On constate aussi pour les Grands cormorans une arrivée beaucoup plus précoce sur les colonies de l’intérieur des terres, moins soumises au vent que la nôtre, mais chaque colonie a une chronologie différente, fluctuant au fil des années et des contraintes et avantages locaux.

Des couples Cigognes blanches sont arrivés, avec des anciens bagués sur place sur les plateformes du Parc, ou originaires de Normandie ou du Pas-de-Calais, totalisant pour l’instant 10 couples dont deux à gauche du poste d’observation. De jeunes couples et des célibataires essayent aussi de s’implanter, et les oiseaux non bagués sont largement majoritaires. 

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Jean Bail

« Tsiep tsiap tsiep tsiap », « Chiff chaff » (si vous êtes britannique) ou « Zip zap » (si vous êtes germanophone)… Le Pouillot véloce est de retour ! 

Ce sont vraiment pour nous ses notes métronomes qui annoncent la belle saison. Pour une fois, il ne nous a pas trompés : la première décade de mars est lumineuse, avec ses matinées de petites gelées. Les premiers pouillots sont notés les 25 et 28 février avec des captures au baguage, les contacts en observation et en chanteurs augmentant à la fin de la première décade de mars. 

Changement majeur au fil des années pour ce petit insectivore migrateur nocturne au plumage discret jaune grisâtre : de plus en plus d’individus hivernent au nord de la Loire, choisissant les lieux les plus abrités et encore riches en insectes comme les ripisylves en marais, en passant par les jardins très nature et les bocages denses. S’agit-il d’oiseaux du nord de l’Europe ou de mouvements de nicheurs français à courte distance ? 

Même en hiver, il reste insectivore, fouillant sans cesse les écorces des branches et des troncs ou les feuilles mortes encore attachées. La majorité de la population néanmoins continue à migrer vers le bassin méditerranéen jusqu’au Maroc, la côte atlantique et pour quelques-uns jusqu’au Sahel

Ce retour  est crucial ; si les oiseaux arrivent en période de mauvais temps, notamment avec de la pluie et, surtout, du vent et du froid combinés, comme c’est souvent le cas ces dernières  années, la mortalité peut être importante. Les oiseaux en viennent à se nourrir au sol, ou à papillonner au-dessus de l’eau pour attraper des potentiels insectes. Et on finit comme en 2018 et 2019 à trouver des petits cadavres sur les chemins, dont la masse est inférieure à 6,5 grammes… Ces phénomènes successifs peuvent être une des (multiples) raisons de la baisse des populations sur certains secteurs.

Un oiseau juvénile bagué au fond des parkings du Parc le 16 août 2023 a été contrôlé le 10 octobre 2023 sur la station de lagunage de Rochefort (Charente-Maritime) !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Jean Bail

Surprise au Parc du Marquenterre : le dimanche 23 février, deux jeunes observateurs en herbe passionnés d’ornithologie observent une Hirondelle rustique survolant la maison du Parc. Le lendemain, elle est aperçue se reposant dans les ateliers techniques du site où chaque printemps une dizaine de couples nichent. Ce lundi des ornithologues girondins (Joachim et Julie Dufour) en observent une en baie de Somme. 

C’est une des dates les plus précoces en Picardie pour cette grande migratrice qui va passer l’hiver au Congo, en Centrafrique, voire au nord de l’Afrique du Sud. Des oiseaux avaient été observés le 21 février 1990 et le 28 février 1994. À l’échelle nationale, le passage prénuptial débute normalement en mars (2,5% des effectifs sont passés au 11 mars) et s’achève fin mai, avec un pic dans la première décade d’avril. 

Mais les temps changent, et les premiers oiseaux migrent de plus en plus tôt.  Le réchauffement climatique joue certainement un rôle important sur cette avancée, et de plus en plus d’oiseaux – même si ce sont des effectifs encore très faibles – hivernent en Espagne et au Portugal, et dans le sud de la France jusque dans le bassin d’Arcachon. De rares cas de juvéniles nés tardivement peuvent essayer d’hiverner dans notre région, comme ces 4 jeunes mi-décembre 1990 à Saint-Valery, ces 2 autres le 3 janvier 1982 en baie de Somme, ou encore 5 le 10  décembre 2000 et 2 le 21 décembre de la même année à Blangy-Tronville.

Si les conditions sont favorables sur ces sites d’hivernage proches, cela permet une mue plus rapide et une meilleure accumulation de réserves de graisse, rendant la migration de retour plus précoce et rapide. On constate même maintenant à l’instar de l’Afrique du Nord des nidifications hivernales au Portugal ! Mais cette précocité représente néanmoins un grand risque pour ces pionnières. L’hirondelle est strictement insectivore, ne capturant que des insectes volants. Si pendant deux ou trois jours les conditions sont néfastes – le froid certes, mais surtout chez nous le vent et la pluie -, ces oiseaux seront alors condamnés.  

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Alexander Hiley

Les prairies humides de l’ouest du Parc sont actuellement bien animées. 1354 Pluviers dorés y sont comptés le 10 février et 2130 le 13 février. Ces petits limicoles rondouillards au beau dos mordoré (surtout quand il y a un rayon de soleil !) nous viennent aussi bien de Scandinavie que du nord-ouest de la Russie pour hiverner chez nous. 

Ils sont souvent en compagnie des Vanneaux huppés en stationnement au sol, même si en l’air ils restent généralement entre eux. Il faut dire que leurs ailes longues étroites leur donnent un vol bien plus direct et rapide que celui de leur cousin huppé. Ils font alors penser à des déplacements aériens d’Etourneaux sansonnets. 

Ces chiffres, importants pour le site, sont ceux des stationnements dans ces mêmes prairies dans les années 2006 à 2011 : maximum de 2950 le 23 décembre 2006 et 2344 le 21 janvier 2007. A partir de 2012, on constate une baisse croissante des effectifs, voire une totale absence de l’espèce. Cela est lié probablement aux manques de coups de froid plus au nord, l’espèce étant sensible au gel et à la neige, se déplaçant encore plus que le vanneau en plein hiver au gré des conditions atmosphériques. 

Avec entre 740.000 et 1.300.000 oiseaux, la France accueille, surtout sur les grandes terres agricoles intérieures au nord de la Loire, plus de la moitié de la population européenne hivernante de Pluviers dorés ! Profitons donc de ces superbes grands migrateurs qui vont nous quitter bientôt, la majorité de la migration prénuptiale se faisant de fin février à mi-mars chez cette espèce.

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Jean Bail

Évènement ornithologique sur notre littoral, un juvénile de Pygargue à queue blanche est de nouveau observé au Parc du Marquenterre depuis le 2 février. Il avait été observé en baie de Somme par Benjamin Blondel dès le 1er février. Il sera vu au moins jusqu’au 4 février. 

Son plumage sombre est différent de celui, assez clair, qui avait été observé durant une dizaine de jours à partir du 6 octobre 2024. Celui-ci, un mâle, possédait des bagues de couleur posées quand il était poussin dans un nid aux Pays-Bas sur le polder de Flevoland, près de la renommée réserve d’Ostvaderplassen, le 21 mai 2024, où une douzaine de couples niche de nouveau depuis une quinzaine d’années. 

Les guides du Parc du Marquenterre géré par le Syndicat Mixte Baie de Somme commencent à apprendre à bien connaître le comportement de ce grand aigle – jusqu’à 2,40 d’envergure et 7 kilos pour les femelles, plus grandes que les mâles ! En effet, la tête est toujours en mouvement et les yeux perçants scrutent le moindre geste d’une proie potentielle. Qu’une éclaircie apparaisse, permettant le discernement d’une prédation facile, et il se met en chasse de son vol lent et puissant. Certains guides l’ont croisé à quelques mètres, cela disons “décoiffe” ! Olivier Buffet, coordinateur à la Maison de la Baie de Somme, parle d’ailleurs de “paquebot volant” ! Il se nourrit aussi bien d’oiseaux d’eau, que de rats musqués ou de poissons et est bien volontiers charognard. 

C’est la douzième donnée sur le Parc depuis 1973, et ce grand aigle est maintenant observé presque chaque année depuis 2018.  On retiendra sur le site protégé l’hivernage de deux immatures du 28 octobre 1982 au 6 février où les guides de l’époque ont noté de nombreuses informations sur son comportement, notamment sa prédation (lapin, foulque, limicoles blessés…). Deux jeunes vont aussi hiverner sur le site du 28 octobre 2018 au 10 février 2019, attirant alors de nombreux observateurs.  Du 3 novembre 2020 au 17 janvier 2021, un oiseau bagué en Saxe allemande à la frontière polonaise hiverne de nouveau sur le Parc. Mais des souvenirs bien plus anciens existent aussi : entre 1850 et 1900, le Pygargue était régulier en baie de Somme. En 1860, 5 oiseaux se nourrissent sur un cadavre de vache (!!!) sur la plage de Saint-Quentin-en-Tourmont, et 6 sont notés en 1932 en baie de Somme !

Cet immense rapace qui avait disparu comme nicheur en France (en Corse autour de l’étang de Biguglia) depuis 1956, hiverne régulièrement surtout en Camargue et sur les grands lacs champenois, avec seulement une quinzaine d’oiseaux chaque année pour le pays. Depuis 2011, un couple est revenu nicher en France sur le vaste étang lorrain de Lindre, puis un deuxième couple en 2020 au Lac du Der entre Reims et Saint-Dizier, et maintenant aussi un couple en Brenne et en Sologne.

L’espèce reste très rare au niveau européen avec une population en augmentation estimée à 3550 couples dont la moitié en Norvège. Il fut réintroduit en Ecosse et sur l’île de Wight en Angleterre avec le relâcher de jeunes oiseaux prélevés dans leur nid en Norvège, où la population est la plus florissante. Des programmes de réintroduction ont lieu aussi en Irlande et en Suisse ainsi qu’en France sur les bords du lac Léman où quelques oiseaux ont déjà retrouvé l’état sauvage. Tous ces oiseaux sont, pour les jeunes, de nouvelles rencontres potentielles pour notre région ; les adultes en revanche sont sédentaires et très casaniers, et ne nichent pas avant 5 ou 6 ans. Ce sont donc les couples des Pays-Bas et le nouveau couple belge qui risquent de nous “envoyer” chaque hiver leurs juvéniles à la recherche de territoires d’hivernage favorable ! 

La présence en stationnement prolongé du Pygargue est strictement liée à l’existence de vastes zones humides, peu dérangées et très riches en nourriture. Ce rapace au vol lent échoue en effet souvent dans ses captures d’oiseaux d’eau et cherche de grands territoires riches en proies faciles. Il est en cela un indicateur de la qualité et de la richesse d’un milieu, un “label rouge” en quelque sorte, ce qui est très valorisant pour notre région. Cela récompense des années d’efforts de protection et de gestion du site du Conservatoire du Littoral et justifie la renommée de notre territoire pour le tourisme ornithologique.

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Alexander Hiley