C’est la période idéale pour croiser sur les chemins du Parc le Carabe chagriné (Carabus coriaceus), coléoptère de près de 40 mm de long. Il se caractérise par son aspect très sombre, de grands yeux noirs, deux longues antennes et des élytres à l’aspect rugueux. Il se déplace extrêmement rapidement grâce à ses trois longues paires de pattes qui sont griffues, lui permettant même de grimper. Les ailes sous les élytres sont très réduites et le rendent inapte au vol ! 

Surtout nocturne, c’est un redoutable prédateur dès son stade larvaire ; il est muni d’une spectaculaire paire de mandibules. Il capture escargots, insectes et même les plus grosses loches orangées. Il serait capable d’ingérer trois fois son poids par jour ! Mais au fait, pourquoi “chagriné” ? Eh bien pourquoi pas, il y a bien une libellule déprimée ! En tout cas si vous avez un jardin, vos salades et radis ne seront pas “chagrinés” qu’il soit dans les parages !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Cécile Carbonnier

Une guêpe, c’est bien entendu jaune et noir… et ça pique ! Eh bien pas toujours ! Ainsi la Guêpe coucou ou Chrysis flamboyante (Chrysis ignita) est vraiment… flamboyante ! C’est une véritable petite splendeur de 3 à 10 mm de longueur. Le corps à de beaux reflets métalliques et cuivrés, bleus, violets ou verts sur le thorax, selon la lumière ; l’abdomen est rouge à rose rubis, ou encore orangé, toujours selon la luminosité. Une véritable œuvre d’orfèvre du vivant ! La surface inférieure est concave, rien à voir avec un “mini sympathique embonpoint” ; cela permet à l’hyménoptère de se rouler en boule – comme un cloporte – pour se préserver des prédateurs. Le thorax est protégé par une épaisse cuticule granuleuse, afin d’échapper au dard des autres guêpes que l’insecte peut parasiter.

En effet, comme la plupart des membres de la famille des Chrysididae, c’est une espèce parasite. Si l’adulte se nourrit du nectar des fleurs, la larve est bel et bien carnivore. La femelle recherche les nids de certaines guêpes maçonnes ou fouisseuses pour y pondre. Dès leur naissance, ces hyménoptères dévorent les œufs, les larves et les réserves nourricières de leurs malheureuses hôtes. Elles peuvent même opérer leurs crimes dans votre hôtel à insectes ! D’où le nom générique de “guêpe coucou”, finalement un bijou bien dangereux à fréquenter ! Les Anglais la nomment “ruby tailed wasp”, la guêpe à queue rubis. Rassasiée, la larve de notre parasite émergera au printemps prochain comme un bijou de guêpe toujours bien innocent et rutilant !

Sa présence semble régulière sur le Parc, où elle se chauffe souvent au soleil sur les rambardes et postes d’observation en bois. Il existe de nombreuses espèces de Chrysididae en France et en Europe, pas toujours faciles à distinguer entre elles.

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Soizic Maillet

En cheminant le long des prairies humides du Parc, notre regard s’arrête sur une fleur d’Eupatoire chanvrine enveloppée dans un dôme de soie. Serait-ce là le piège mortel patiemment tissé par une araignée gourmande ? Au contraire ! Il s’agit d’un écrin protecteur, promesse de vie : à l’intérieur, des dizaines de petites Pisaures admirables (Pisaura mirabilis) grandissent bien à l’abri, sous la vigilance de leur mère. C’est d’ailleurs ce comportement maternel exemplaire qui a inspiré ce nom…

Mais déroulons le fil de l’histoire. Tout commence par un cadeau : celui qu’offre le mâle Pisaure à sa “douce”. Afin de se faire accepter par l’élue de son cœur, celui-ci lui présente une proie qu’il a préalablement capturée. Stratégie plutôt maligne, puisqu’elle lui évite d’être dévoré par sa belle affamée ! Car chez la plupart des araignées, on ne se refuse jamais un petit plaisir cannibale… 

Tandis qu’elle est occupée à consommer cette offrande nuptiale, l’accouplement peut avoir lieu. Il dure environ une heure. C’est alors que le qualificatif de la Pisaure prend tout son sens : au lieu de déposer ses œufs dans un coin et de les abandonner aux aléas de la vie – non sans leur souhaiter bon courage… -, la brave mère prend le soin d’envelopper sa ponte dans un cocon parfaitement sphérique, sur lequel elle veillera assidûment jusqu’à l’éclosion. Elle le transporte à l’aide de ses chélicères, petites pinces situées à proximité de sa bouche.

Quand la naissance approche, Maman Pisaure ne chôme pas : elle confectionne une cloche de soie dans la végétation, au sein de laquelle elle fixe délicatement le cocon. Elle demeurera auprès de cette pouponnière durant les premières phases de développement de ses rejetons, jusqu’à ce qu’ils soient capables de se débrouiller seuls. Admirable, n’est-ce pas ? 

Dans quelque temps, les petits deviendront de belles araignées grises ou brunes, mesurant de 10 à 16 millimètres. Vous les reconnaîtrez à la ligne claire qui traverse la large bande sombre de leur céphalothorax. Leur abdomen, plus mince à l’arrière, leur confère une silhouette générale svelte et élancée. 

Notons que si cette araignée, très commune, est une fileuse prodigieuse quand il s’agit de bâtir des nurseries, en revanche, elle ne tisse pas de toile pour capturer ses proies. En effet, elle préfère chasser au sol, poursuivant en courant insectes en tous genres… ou mâles négligents qui auraient oublié leur offrande !

Texte : Cécile Carbonnier / Illustrations : Cécile Carbonnier, Marion Mao

Dans les zones fraîches et humides du Parc se dressent de grandes plantes herbacées à la silhouette gracile, émaillées de charmantes fleurs d’un rose intense : ce sont les Épilobes à grandes fleurs (Epilobium hirsutum), également appelées Épilobes hirsutes en raison des petits poils hérissés qui parsèment leur tige souple et robuste. Pouvant atteindre 1,80 mètre de hauteur, elles apportent une note de couleur joyeuse à la mégaphorbiaie, cette formation végétale hétérogène et dense constituée de hautes plantes vivaces, caractéristique des sols riches et humides, qui ourle nos marais. 

La corolle de la fleur est composée de quatre pétales très échancrés, en forme de cœur. Au centre de cet écrin rose, on distingue une petite croix blanche : il s’agit du stigmate – l’extrémité du pistil, l’organe reproducteur femelle de la fleur – prêt à accueillir les grains de pollen que déposeront syrphes et bourdons en butinant. Huit étamines – les organes mâles – forment une ronde autour de lui. 

Les Épilobes accueillent nombre de résidents en tous genres, parmi lesquels la chenille du Grand Sphinx de la Vigne (Deilephila elpenor), qui s’en délecte. On la reconnaît à ses ocelles blancs et noirs, qui rappellent le signe du Yin et du Yang. Lorsqu’elle est stressée, elle rentre la tête dans son thorax, se redresse, et gonfle l’avant de son abdomen ; puis elle entame une drôle de danse, se balançant de droite à gauche telle un serpent. Les “yeux” sont ainsi mis en évidence, et peuvent déconcerter le prédateur le plus téméraire !

Dans quelques jours, la chenille quittera sa plante nourricière pour errer un temps, avant de s’enterrer dans une loge rudimentaire, où elle se nymphosera. Les fleurs des Épilobes, quant à elles, auront fané. Ne resteront que les fruits, fines capsules sèches renfermant les précieuses graines. Munies de longues aigrettes de soie – que l’on utilisait jadis pour la confection de mèches à lampes – elles s’envoleront à la moindre brise. Anémochorie, ou quand le vent disperse la vie… 

Texte : Cécile Carbonnier / Illustrations : Alexander Hiley, Cécile Carbonnier, Marion Mao

Ce n’est pas une nouvelle fable inédite de Jean de la Fontaine – Picard et fin observateur de la nature au demeurant – qui vient d’être découverte sur le Marquenterre, mais la rencontre avec la Petite biche (Dorcus parallelipipedus). Cet insecte coléoptère appartient à la famille des Lucanidae, comme le Lucane cerf-volant, qui est bien moins commun. Dorcus en latin signifie « chevreuil, gazelle » du fait des mandibules rappelant un bois de chevreuil, et l’épithète parallelipipedus est dû à la forme de l’insecte, un rectangle noir allongé.

La Petite biche n’est guère difficile à observer de mai à septembre, vue son extrême lenteur, qui confine à l’immobilisme… bien qu’elle soit capable de voler. L’organisation d’une course avec une tortue ou un escargot ne la rendrait certainement pas victorieuse ! 

Elle se nourrit plutôt de sève s’écoulant des arbres, mais n’a pas dédaigné cette fois-ci une part de melon abandonnée. Comme pour tous ces collègues lucanes caparaçonnés, les larves de type gros vers blancs arqués sont saproxylophages, digérant le bois mort sur pied ou au sol grâce à une étonnante flore intestinale composée de bactéries cellulosiques. Cet aliment, guère énergétique, fait que larve dodue se développe sur un cycle de 2 à 3 ans avant de devenir adulte volant. Chez nous, elle apprécie les vieilles saulaies. Elle est un élément essentiel à la dégradation du bois mort, tout en étant elle-même une source de nourriture importante pour nombre de prédateurs, comme les pics.

Comme disait Louis de Funès : “Ma Biche” a encore bien des choses à nous apprendre…

Texte et illustration : Philippe Carruette

Le sentier menant au poste 1 nous fait passer sur un petit ponton en bois, sous lequel s’écoule très doucement un cours d’eau à l’aspect calme et tranquille. Mais aux yeux d’un visiteur attentif et curieux, c’est tout un écosystème aquatique qui se dévoile. Et de temps en temps, lorsque le soleil est présent, une importante masse orange ou verte évolue dans l’eau tel un nuage.

Ce « nuage » flottant est composé de centaines de petits crustacés, de 1 à 4 millimètres pour chaque individu. Ces crustacés font partie du zooplancton : on les appelle les daphnies. En zoomant sur un individu, nous apercevrions ses pattes ; inutiles pour le déplacement, elles sont utilisées pour diriger la nourriture de la daphnie vers sa bouche. Également visible, son tube digestif, ses œufs et même son cœur ainsi que ses 2 paires d’antennes, lui permettant de se mouvoir.  Ce cyclope des eaux douces et stagnantes, parfois saumâtres, pourvu d’un œil unique est protégé par une carapace translucide. À l’extrémité de l’abdomen se trouve une épine (éperon caudal) ; plus il y a de prédateurs dans le milieu, plus cette épine sera longue.

Tels les fanons d’une baleine, la daphnie filtre l’eau, emprisonnant de minuscules organismes planctoniques (phytoplancton et zooplancton).

Oh la belle rouge ! Et la belle verte ! Selon son milieu de vie et la chimie de l’eau, une même espèce peut être rougeâtre ou verte. Attirées par la lumière, on peut les observer à la surface de l’eau le jour pour les voir redescendre ensuite lorsque la nuit arrive. Cependant, une pleine lune sans nuage peut faire remonter les daphnies en surface.

Ces micro-crustacés sont très importants dans le milieu ; ils sont une grande source de nourriture pour beaucoup d’être vivants sur le Parc : limicoles (l’Avocette élégante par exemple), canards, et poissons s’en délectent. Ces derniers seront eux-mêmes mangés par des Spatules blanches, des Hérons cendrés, et autres Aigrettes. On dit également des daphnies qu’elles sont “brasseuses d’eau”, mélangeant les couches plus ou moins oxygénées, mais aussi les couches de salinités ou de densité différentes. Ce sont enfin des espèces bio-indicatrices.

Le plancton est la base de la chaîne alimentaire ! De taille insignifiante, ce zooplancton a pourtant un rôle majeur et mérite bien que nous nous arrêtions quelques minutes afin de mieux l’observer et le comprendre. 

Texte et illustrations : Eugénie Liberelle, Cécile Carbonnier

 

 

En ce début du mois d’août, de nombreux papillons Vulcains (Vanessa atalanta) se délectent du nectar des Eupatoires en fleurs. Ces grands papillons sont faciles à reconnaître avec leurs deux couleurs rouge et noire très tranchées.

Leurs longues ailes trahissent un comportement migrateur. En fin d’été, en effet, les deuxième ou troisième générations nées en Angleterre filent plein Sud, traversant la Manche pour aller hiverner le long de la côte atlantique et probablement jusqu’en Espagne. Par vent porteur, le Vulcain peut atteindre 40 km par heure, pas mal pour un “simple” papillon ! Ces migrations n’ont lieu que lorsque les températures excèdent au moins 11 degrés.

Conséquence de la douceur hivernale, le Vulcain hiverne désormais sur notre littoral à l’état adulte – généralement dans un bâtiment, un garage ou un gros tas de bois – ce qui n’était a priori pas le cas il y a encore une vingtaine d’années, où on le trouvait plus au Sud. Ces individus, plus foncés que ceux qui hivernent à l’état de chrysalide, ressortiront en mars.

Tous pondront au printemps sur des plantes encore communes comme les orties, la pariétaire officinale ou le houblon sauvage, ce qui fait que cette espèce est encore relativement abondante dans notre région.

Texte et illustrations : Philippe Carruette

L’Amaryllis (Pyronia tithonus) est un petit papillon diurne aux ailes orange et marron. Les mâles, de plus petite taille, se reconnaissent facilement à la bande transversale sombre sur la partie orangée de l’aile. Il est régulièrement observé sur le Parc, mais plutôt tardivement, à partir de juin jusqu’en septembre. 

Posé, il garde toujours les ailes bien ouvertes, mettant en évidence les deux ocelles noirs dans lesquels on distingue deux points blancs. Leur aspect d’yeux peut ainsi décontenancer un prédateur l’espace d’un instant : ce bref moment est suffisant pour que le papillon prenne rapidement son envol. 

L’Amaryllis est peu exigeant et pond sur les graminées des prairies (fétuque, pâturin, dactyle…). L’adulte cherche sa nourriture sur la plupart des plantes à fleurs. Ce papillon hiverne à l’état de chenille.

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Alexander Hiley