Où l’on gazouille, piaille et babille sur la vie de nos chers oiseaux

Les Bernaches cravants fréquentent régulièrement la baie de Somme lors des deux périodes migratoires, en septembre-octobre et en février-mars. Leur vol en ligne au-dessus de la mer est spectaculaire. Faute de stations de zostères, graminées marines servant de base à leur alimentation, seuls quelques oiseaux isolés, parfois quelques dizaines, stationnent sur de courtes périodes, avec une quasi inexistence d’un hivernage complet. 

Un groupe de 27 individus est noté pour la première fois sur le Parc le 26 décembre ; elles sont 19 les 8 et 12 janvier, 23 le 24 janvier. Elles se nourrissent surtout sur la prairie du poste 1 à proximité des Oies cendrées, tout en restant toujours ensemble. C’est certainement le même groupe qui est présent depuis novembre sur le schorre du Cap Hornu à Saint-Valery-sur-Somme. La moyenne de l’effectif de la mi-janvier en baie de Somme pour la période 1991-2005 n’est que de 1,6 oiseau

On se réjouit de voir ainsi ce groupe prendre ses quartiers d’hiver chez nous. D’autant plus que, ne l’oublions pas, cette petite oie protégée vient de bien loin, nichant à l’ouest de la Sibérie, de la Nouvelle Zemble à la presqu’île de Taïmyr – soit une migration annuelle aller-retour  de 10 à 15.000 km ! La France joue un rôle essentiel pour l’hivernage de cette espèce avec jusqu’à 165.000 hivernants (75% de la population biogéographique) répartis sur les estuaires de la Manche au Bassin d’Arcachon, avec de gros effectifs en Bretagne, sur les îles de Vendée et en Charente-Maritime.

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Alexander Hiley

De novembre à mars a lieu, trois fois par mois, une opération de baguage des oiseaux venant se nourrir de graines de tournesol sur les mangeoires proches de la héronnière. Cela s’inscrit dans le programme de Suivi Permanent des Oiseaux Locaux du Muséum de Paris (Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d’Oiseaux). Les données obtenues au parc sont intégrées par le CRBPO dans un bilan national et dans un suivi européen des populations de passereaux à la mangeoire, dont certains sont en net déclin comme le Verdier ou le Pinson du Nord. 

En 6 ans, de 2018 à 2023, 27 espèces ont été baguées, totalisant 1055 oiseaux. 325 oiseaux ont été contrôlés l’année ou les années suivantes (à la mangeoire pour la plupart ou sur le Parc sur la deuxième station au fond des parkings, mais aussi des oiseaux bagués ou contrôlés ailleurs par d’autres bagueurs français et étrangers). Cela donne un bon taux de contrôle (30,83%), nettement supérieur à un site de mangeoire suivi depuis 20 ans sur un jardin à 10 km du Parc (20,2%). De rares oiseaux ont été aussi contrôlés sur les deux sites ! 

Cela apporte de nombreuses informations notamment éthologiques sur les espèces et l’utilisation du lieu. On peut retenir parmi bien d’autres :

  • Une faible fréquentation des Verdiers en hivernage, en augmentation avec l’apport d’oiseaux en halte migratoire prénuptiale en mars ;
  • Une présence en nombre (jusqu’à 9 oiseaux différents) de Mésanges nonettes pour un oiseau strictement sédentaire souvent seul ou en couple en hiver ;
  • La présence cyclique en hivernage du Pinson du Nord originaire de la population norvégienne (un mâle d’un an contrôlé, bagué à Stavanger) ;
  • Une période de net déclin de la Mésange charbonnière (confirmée sur la station de migration postnuptiale au fond des parkings du Parc et sur le jardin de Rue) avec un redressement progressif à partir de 2022 ;
  • La présence régulière d’au moins 5 Rougegorges sur le même lieu sans conflit majeur pour une espèce jugée très territoriale ;
  • Les irruptions de Mésanges noires, qui sont bien suivies par baguage à l’automne sur la station à l’entrée du Parc ;
  • La dominance nette de la Mésange bleue (plus d’un tiers des oiseaux bagués) avec de nombreux oiseaux contrôlés bagués en Flandres belges et en région bruxelloise, et un fort erratisme des jeunes oiseaux : un jeune mâle d’un an bagué le 28 octobre 2021 au Parc, remontant vers le nord, a été contrôlé le 1er novembre 2021 entre Gand et Anvers (!) ;
  • Même s’il ne se nourrit pas à la mangeoire, la faible présence du Roitelet huppé en hivernage alors qu’il est abondant en passage postnuptial.

Un bilan complet très détaillé, espèce par espèce, a été rédigé sur ces 6 ans de suivi particulièrement captivant sur le long terme.

En janvier 2024 de nombreux oiseaux ont déjà été bagués, dont deux nouvelles espèces pour la station : l‘Épervier et le Sizerin cabaret. Merci à tous les guides aides bagueurs qui ont permis la réalisation de ce suivi sur le long terme !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Alexander Hiley, Philippe Carruette

Le Cygne de Bewick, originaire de Sibérie arctique, est devenu rare en Picardie. Avec les changements climatiques, ces oiseaux hivernent de plus en plus au nord de l’Europe et descendent de moins en moins vers la France.  

Mais depuis la vague de froid de 2013, le Cygne de Bewick a retrouvé une véritable tradition d’hivernage sur le Parc du Marquenterre. Cette même année, jusqu’à 19 oiseaux avaient été observés, un record historique pour la Picardie ! En 2014, un couple revient avec ses deux juvéniles ; en 2015 ce sont 6 adultes et 2 immatures qui sont présents en hivernage, et pour l’hiver 2016-2017, un groupe de 6 avec un seul immature. Un couple d’adultes, probablement le même (le mâle est identifiable aux taches caractéristiques sur le bec) est présent maintenant chaque hiver depuis 2019. Hélas il n’est pas accompagné de juvéniles.

C’est avec plaisir que l’on retrouve un couple d’adultes en cette fin d’année 2023. Il est arrivé le 26 décembre. Mais un oiseau isolé avait survolé le Parc le 6 décembre, ne restant que quelques instants en se posant au milieu d’un groupe de… Spatules blanches ! Ce couple est présent sur le Parc du Marquenterre une grande partie de la journée, partant se nourrir le soir dans les champs aux environs, souvent dans une prairie partiellement inondée proche de Quend. Un deuxième couple les rejoint le 12 janvier 2024, et un oiseau seul (a priori un mâle vue la taille) le 29 janvier. Le 31 janvier les deux couples sont à l’extérieur du site alors que l’oiseau seul se nourrit sur les prairies du poste 7.

À peine 400 individus de ce joli petit cygne de Sibérie arctique au bec jaune hivernent en France (Camargue, étangs champenois et lorrains) sur 21000 en Europe de l’Ouest. Cette population européenne est plutôt en déclin avec un report de l’hivernage vers les sites plus orientaux (mer Caspienne et Méditerranée). On ne sait pas s’ils sont venus en terres picardes en rennes… mais c’est toujours un beau cadeau de début  d’année ! Avec les Harles piettes originaires de Norvège ou de la Baltique, le Parc du Marquenterre, même sans la neige et les gelées, prend des airs de Grand Nord…  

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Alexander Hiley

Plusieurs espèces de passereaux attaquant ensemble un prédateur, ça vous étonne ? Et pourtant, ce comportement étonnant existe bel et bien. Nous savons depuis peu que les passereaux sont capables de comprendre des cris entre les espèces. Cela vaut notamment pour les cris de harcèlement, qui visent à rallier ses congénères pour houspiller le prédateur et le faire fuir. 

C’est ainsi que des Mésanges charbonnières peuvent rallier des Mésanges bleues ou encore des Chardonnerets élégants pour repousser un Epervier d’Europe. Encore plus extraordinaire, il a récemment été prouvé que la Mésange charbonnière pouvait répondre à une Mésange à tête noire nord-américaine (Poecile atricapillus) qu’elle n’a pourtant jamais rencontrée !

Texte : Jean Capelle / Illustration : Alexander Hiley

Le suivi régulier de la migration au point de vue permet – par beau temps et vent favorable – d’observer la migration active de nombreux passereaux. A cette période, les vacances vers l’Afrique ne sont plus vraiment d’actualité, mais plutôt des séjours à moindre frais (sobriété énergétique oblige…) vers la France et la péninsule ibérique, pour des oiseaux venant du Benelux à la Scandinavie en passant par les pays de la Baltique. Mais c’est aussi l’occasion de voir que toutes les espèces sont potentiellement migratrices (sauf notre cher Faisan, chargé de l’accueil au point de vue ou devant le pavillon d’accueil, qui ne doit pas se sentir concerné… fut- il de Colchide !).

Cette année sera celle des Tarins des aulnes. Les premiers groupes migrateurs sont observés le 23 septembre. Ensuite, chaque matinée, de petites bandes bruyantes en vol compact et chaloupé ont survolé le Parc par tous les temps et tous les vents, même défavorables. Leur stratégie de migration diurne est plutôt basée sur des distances courtes avec des haltes fréquentes. On peut ainsi les voir sur les aulnaies heureusement préservées avant le poste-mangeoire en fin de parcours. 

Ces petits saltimbanques joyeux sont à cette période granivores et cherchent les petites graines de strobiles d’aulnes. Les comptages donnent un record de 2620 observés en une matinée au point au point de vue le 13 octobre ; plusieurs milliers ont été dénombrés aussi les matinées d’octobre au banc de l’Ilette, à la pointe de Routhiauville en baie d’Authie ou en baie de Canche. 

Les dernières irruptions récentes datent des années 2007, 2010, 2017, et 2019. Ces phénomènes sont liés à des conditions de reproduction favorables en Scandinavie et dans le nord de l’Europe, augmentant les effectifs qui peuvent se voir en fin d’été confrontés à une année de disette (faible productivité en graines de conifères et de bouleaux) obligeant à un véritable exode alimentaire vers le sud-ouest de l’Europe, particulièrement pour les juvéniles. Ce sera l’occasion de pouvoir baguer des oiseaux à la mangeoire ou à la station de baguage pour le suivi de la migration postnuptiale. Le 16 mars 2013, un oiseau âgé de 3 ans, bagué à Trondheim en Norvège, avait été contrôlé sur le Parc. Il semble que chaque année, quelques couples nichent également dans le massif dunaire du Marquenterre.

Texte et illustration : Philippe Carruette

La saison s’achève pour le personnel du Parc du Marquenterre… mais commence à peine pour les oiseaux hivernant sur le site. En ce premier jour de novembre, ce sont des centaines de Canards pilets, Sarcelles d’hiver, Courlis cendrés, Barges à queue noire ou encore Spatules blanches qui ont une nouvelle fois enchanté les visiteurs ravis de pouvoir contempler de si près ces grands migrateurs venus du Nord. Certains ne feront qu’une halte, en attendant que la tempête passe et que la météo, plus clémente, permette de repartir vers le sud de l’Europe. D’autres trouveront sur le Parc les conditions optimales pour y séjourner tout l’hiver. Souhaitons-leur à tous bon vent ! 

Comptage du 1er novembre 2023   

Depuis quelques semaines, nous sommes au premières loges pour observer les Spatules blanches migrer. C’est l’occasion de regarder si elles sont baguées et, pour celles qui le sont, lire les bagues. Nous pouvons ensuite retrouver le bagueur grâce au type de code utilisé (bagues colorées, code alphanumérique…) et lui transmettre l’observation. Il l’intègre alors au registre de l’oiseau, son “CV”, qu’il nous transmet en retour. Nous pouvons alors savoir où est né l’oiseau, en quelle année et par où il est passé…

Prenons l’exemple de GGfa/LGL. Ce nom (très glamour) est en fait le code constitué par les bagues colorées. Les majuscules correspondent aux couleurs : G pour Green (vert), L pour Lime (vert clair). Le « f » minuscule signifie flag (drapeau) ; collé au G qui le précède, cela signifie que la deuxième bague verte a un drapeau, un bout de bague qui dépasse nettement (comme la bague vert clair de la spatule en photo ici). Le « a » correspond à la bague métal sur laquelle sont inscrits l’identifiant numérique de l’oiseau (ici, 268857) et le nom du muséum du pays où l’oiseau est bagué (ici, muséum Berlin).

Grâce au retour du CV par le bagueur, nous savons que l’oiseau a été bagué poussin le 03/06/2011 sur l’île allemande d’Oland, près de la frontière avec le Danemark. Après les informations sur le baguage en lui-même, le CV contient la liste de tous les endroits où la spatule a été observée. Cela permet de retracer les grandes lignes de ses voyages, au fil des observations.

Ainsi, nous savons qu’au début du mois du juillet, GGfa/LGL a quitté l’île qui l’a vue naître pour rejoindre le continent. Elle est restée là-bas pendant au moins 1 mois. En octobre de la même année, elle est vue dans le Morbihan soit environ 1 100 km plus loin. Encore jeune, elle ne ressent pas le besoin de se reproduire. Elle y reste donc environ 1 an.

Pendant les quelques mois du printemps 2013, elle n’a pas été observée. Elle est certainement partie prospecter pour un éventuel futur nid. Peut-être même qu’elle s’est reproduite. Ce qui est sûr, c’est qu’en juillet 2013, elle est observée de nouveau en Allemagne, sur le même site que lorsqu’elle a quitté son île natale. Elle y reste au moins jusqu’en septembre.

Le 28 mars 2014, elle est de nouveau observée dans le Morbihan. Y a-t-elle passé l’hiver ou est-elle seulement passée en migration ? Difficile à dire. Le 17 avril, elle est observée 1 000 km plus loin en Allemagne. Elle répète ce schéma pendant plusieurs années, alternant entre des passages dans le Morbihan et le nord de l’Allemagne où elle s’arrête chaque année.

En 2017, son site de reproduction est enfin trouvé ! Elle est observée sur son nid sur l’île Hoje Sande, située dans un fjord à l’ouest du Danemark. Cette île se situe 130 km plus au nord du site où elle est née. On voit bien le grand rayon de dispersion des jeunes. Cela évite entre autres les problèmes de consanguinité et de surpopulation. En juillet, elle est retrouvée sur son site de halte en Allemagne. On peut alors supposer que les printemps précédents, elle nichait déjà sur le même site.

En novembre 2017, elle est observée en Espagne, près de Séville ! Cela fait environ 2 400 km depuis son site de reproduction.

Durant les années suivantes, elle poursuit ses aller-retour. Elle est souvent observée aux mêmes endroits. On peut noter une grande fidélité (ou une tradition ?) à certains sites propices pour les haltes ou l’hivernage.

En septembre 2019, elle est vue au Parc pour la première fois où elle passe quelques jours avant de repartir.

Cette année à nouveau, elle est observée au Parc. Nous avons hâte de recevoir son CV actualisé et de voir les voyages qu’elle a faits depuis la dernière fois !

Récemment, nous avons aussi eu le retour d’une autre spatule baguée en Espagne en… 1996 ! En revanche, c’est une grande timide. Elle n’a été observée que 10 fois, dont 8 fois en Espagne (entre février et mars) et une fois en Mauritanie (en décembre), où elle passe probablement l’hiver. Son observation au Parc durant la période de migration indique qu’elle niche plus au nord, sans que nous puissions toutefois être plus précis.

En retraçant ainsi les parcours des oiseaux, on peut en apprendre beaucoup sur leurs déplacements et les dynamiques de populations. On peut aussi identifier les zones propices aux haltes, hivernages et reproductions.

Texte : Quentin Libert / Illustration : Gabriel Le Du

Le Balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus) est un grand rapace diurne et piscivore doté d’un fort contraste entre le dos brun et le ventre blanc, visible chez aucun autre rapace. Sa queue est munie de barres noires, et sa tête blanche possède un masque facial noir qui lui donne des airs de bandit de grands chemins. Son envergure importante va de 127 à 174 cm malgré ses ailes étroites. Ses serres sont très crochues afin de retenir les proies les plus glissantes. 

Avec son régime alimentaire quasi exclusivement constitué de poissons, le balbuzard est inféodé aux grandes zones humides comme les ripisylves des fleuves, lacs et étangs, mais également les côtes rocheuses. Son aire de répartition est très large. Elle couvre presque tous les continents excepté l’Antarctique. Les balbuzards européens rejoignent leurs zones d’hivernage en Afrique subsaharienne, et les nord-américains en Amérique centrale et du sud, tandis que les oiseaux du nord de l’Asie vont hiverner en Asie du Sud-est.

En baie de Somme, les balbuzards sont uniquement de passage. Au printemps, ils vont rejoindre les colonies danoises ou écossaises. Néanmoins, en été et au début de l’automne, on les voit souvent pêcher dans la baie, voire sur le Parc, à la surprise des visiteurs et à la joie des guides qui ne se lassent pas de ce spectacle.

En période de reproduction, ce rapace effectue une parade nuptiale spectaculaire afin de séduire une femelle ou de renforcer les liens d’un couple déjà formé. Le procédé est simple : plusieurs piqués vertigineux en s’élevant jusqu’à 300 mètres de haut avec un poisson dans les serres. Le mâle l’offrira en offrande à la femelle. 

Le nid est construit sur un pylône électrique, une paroi rocheuse ou de grands arbres. Il est rechargé chaque année en branchage. En avril-mai, la femelle pond 3 œufs blanc-crème tachés de brun-roux qui sont couvés pendant une durée de 34 à 40 jours. Les jeunes sont volants à partir de 51 à 54 jours après l’éclosion.

Le balbuzard pêcheur attrape les poissons en surface aussi bien en mer que dans les grands plans d’eau. Il plane assez haut au-dessus de l’eau. Lorsqu’il repère une proie, il se met à voler sur place et fond en piqué jusqu’à s’immerger complètement. En moyenne ses prises pèsent entre 150 et 350 grammes. Néanmoins, il est capable de pêcher des poissons pesant jusqu’à 1 kg et mesurant de 20 à 35 cm.

Texte et illustration : Foucauld Bouriez