Parfois rares, souvent drôles, toujours de bon augure : découvrez ici les oiseaux qui nous ont rendu visite

Après le Chevalier à pattes jaunes l’automne dernier, un nouveau « made in USA » nous fait le plaisir de traverser l’Atlantique. Ignorant tout protocole, arrivé en toute discrétion sans déplacement ou annonce officielle, un jeune Bécasseau tacheté arpente tranquillement les berges du reposoir de marée haute ce mardi 13 septembre. Il n’est nullement impressionné par les 6000 Huîtriers pie et les centaines de Courlis cendrés qui se tiennent derrière lui. Pense-t-il que c’est pour lui tout ce grand rassemblement ? Ah ces Américains, tellement dans la démesure ! 

En tout cas, nous avons fait un véritable tour du monde géographique sur ces quelques mètres de vasières, puisque notre Américain était en compagnie de deux jeunes Bécasseaux cocorlis sibériens, de dizaines de Grands Gravelots norvégiens, de quelques Bécasseaux variables venus des bords de la Baltique, d’une Barge à queue noire islandaise, et d’une Barge rousse de Laponie ! Que d’émerveillements, de respect et d’humilité migratoire devant nos yeux ! Cette seule raison devrait largement suffire à protéger tous ces oiseaux parcourant des milliers de kilomètres, s’affranchissant des frontières.

Le Bécasseau tacheté niche en effet dans l’Arctique américain et canadien. C’est un grand migrateur nocturne qui va hiverner jusqu’au Chili et en Terre de Feu. Lors des tempêtes et ouragans imprévisibles, il peut traverser l’Atlantique et se retrouver en Europe : il est alors dérouté durant sa migration, et est poussé plein ouest par les vents tempétueux pour arriver sur le continent européen. Ce limicole aux ailes très fines et profilées – elles se tiennent croisées derrière la queue – est capable de grandes traversées marines, même si en cas de fatigue des oiseaux peuvent s’arrêter sur les pontons des bateaux. 

Il est relativement facile à reconnaître. Se tenant haut sur pattes, il est un peu plus grand que le Bécasseau variable avec des pattes verdâtres et une large bande pectorale grisâtre se terminant en petite pointe col en V ; très chic ! La queue en fer de lance est noire au centre, rappelant l’aspect du corps d’un jeune Bécasseau cocorli, avec les ailes tachetées en écailles de tortue. Le bec est assez long, légèrement courbé, noir à base verdâtre à orangé. 

De l’Alaska à la Baie d’Hudson, il niche dans la toundra au printemps au milieu des bouleaux nains et des lichens. Une population niche aussi en Sibérie orientale ; elle part hiverner après un voyage étonnant jusqu’en Océanie, Nouvelle-Zélande et Tasmanie. C’est le plus régulier des limicoles américains en France (entre 10 et 50 observations par an). Notons que la dernière venue de cet oiseau au Parc date du 28 septembre 2018 ; avant cela, nous ne l’avions pas croisé depuis 2009 !

Marée haute oblige, inutile de préciser que quelques minutes après la découverte, le poste d’observation était plein d’admirateurs, photographes, guides ou visiteurs néophytes pour l’accueillir dignement ! Tapis rouge pour l’Oncle Sam, on sait accueillir au Marquenterre ! Ce sont des grands moments de partage pour tous, et ici, quel que soit le niveau de connaissances, on a bien entendu le droit (et le devoir !) de partager les mêmes plaisirs des yeux du vivant !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Florian Garcia

Aujourd’hui, parlons migration ! Il est vrai qu’à cette époque de l’année, beaucoup d’oiseaux migrent dans l’axe nord/sud : ils se sont reproduits dans les zones plus nordiques, et redescendent passer l’hiver plus au sud. Néanmoins, ce n’est pas le cas de tous, et certaines espèces ont des trajets migratoires particuliers que nous vous proposons de découvrir ici…

Pourquoi migrer ?

Le 21 juin est passé et les jours raccourcissent. C’est le signal pour beaucoup d’oiseaux que l’hiver et le froid arrivent, mais surtout que la nourriture va vite se raréfier. En effet, les oiseaux sont couverts de plumes qui les protègent du froid et de l’eau, entre autres. Ce n’est donc pas tant la météo qu’ils craignent, mais le manque de nourriture. Quand l’étang gèle, le Canard siffleur aura plus de mal à plonger pour chercher les algues qui poussent au fond. Et lorsqu’il fait froid, il devient plus difficile pour le Pouillot fitis de trouver les insectes dont il a tant besoin. Ils vont donc partir vers des zones plus propices pour s’alimenter. Le Canard siffleur n’aura pas à descendre très loin, la baie de Somme lui suffit. Ici l’eau gèle peu, et la neige recouvre exceptionnellement le sol. Le Pouillot fitis, quant à lui, devra partir jusqu’en Afrique pour trouver des insectes.

Au printemps, les contrées nordiques deviennent au contraire très propices. La végétation se développe vite et les insectes pullulent. La nourriture devient très facilement accessible et en quantité. Élever les petits dans ces conditions est plus simple que sur le lieu d’hivernage où la concurrence est plus forte. Beaucoup d’espèces remontent donc profiter de ces conditions idéales.

Il s’agit là d’un cas général. Mais beaucoup d’espèces ne suivent pas forcément ce schéma.

Migration altitudinale

Certaines espèces apprécient les milieux montagnards, comme le Crave à bec rouge, le Tichodrome échelette ou l’Accenteur alpin. Comme dit plus haut, en été les conditions sont réunies pour élever les jeunes sans trop de difficultés. En hiver en revanche, le froid arrive vite et la neige recouvre une grande partie du sol. Certains oiseaux entament alors une migration altitudinale : ils vont descendre dans les vallées où la nourriture est plus présente et accessible. Certains peuvent aller loin, mais ils restent généralement à quelques dizaines de kilomètres de leurs lieux de reproduction.

Un cas un peu particulier est celui du Grand Tétras. Lui aussi change en quelque sorte d’altitude, puisqu’il va passer du sol montagnard pendant l’été… à l’abri des arbres quelques mètres plus haut ! En effet, durant la belle saison, il trouve sa pitance au sol : baies, racines, etc. Mais avec l’arrivée de la neige, il grimpe dans les conifères pour se nourrir d’aiguilles ! 

L’hiver en mer

Pour d’autres espèces, la migration s’effectue en mer. Cela concerne surtout les espèces dites pélagiques (de haute mer) comme le Macareux moine. Pour se reproduire, il se rapproche des côtes et plus particulièrement des falaises côtières pour y installer son nid. Mais dès la reproduction terminée, il va partir en mer, loin des terres, où la nourriture est plus accessible. 

Certaines espèces d’Albatros nichant dans l’hémisphère sud poussent le procédé encore plus loin. Les jeunes ayant une croissance longue, les parents ne peuvent pas toujours enchaîner deux années de reproduction consécutives. Une fois le jeune indépendant, ils quittent donc les côtes et vagabondent en mer pendant un peu plus d’un an ! 

Les irruptifs

Certaines espèces ont une stratégie de migration moins prévisible. Les Tarins des aulnes, les Jaseurs boréaux ou les Pinsons du Nord, pour ne citer qu’eux, vont décider de migrer s’ils constatent que la nourriture manque. Ils peuvent donc partir tard, selon l’abondance en ressources alimentaires. Ils peuvent faire irruption chez nous en novembre ou décembre si besoin il y a. Les espèces dites “irruptives” sont souvent liées à une ou quelques espèces de végétaux qui fructifient en hiver. Le Tarin affectionne particulièrement les aulnes (d’où son nom, même s’il peut aussi trouver sa nourriture près d’autres essences). Les bonnes années où les aulnes produisent beaucoup de graines, ils ne migreront pas ou très peu. Les mauvaises années en revanche, ils devront partir pour trouver ailleurs leur nourriture. C’est dans ce dernier cas que leur présence est nettement constatée en France.

Un cas extrême d’espèce irruptive est le Bec-croisé des sapins. Il est dit “nomade”. Il dépend de la fructification des conifères. Comme celle-ci est irrégulière et non liée à une saison particulière, il va se déplacer pour suivre les arbres porteurs de fruits. Et s’il trouve un coin particulièrement productif à un moment donné, il décide de s’installer pour se reproduire ! Il n’est donc pas lié à une saison et peut nicher aussi bien en avril qu’en décembre, s’il trouve un “filon” de graines de conifères.

Texte : Quentin Libert / Illustrations : Alexander Hiley, Danielle Bliard, Eric Penet

Le Phalarope à bec étroit est un petit échassier nichant en Scandinavie et en Russie, avec quelques rares couples en Ecosse, partant en migration en haute mer pour ensuite traverser l’Europe par les terres en direction de la mer Noire et de la mer Caspienne, et hiverner en groupe le long des côtes du  Golfe persique (Mer d’Oman, golfe arabique…) et dans l’Océan indien… Un sacré et étrange périple migratoire en boucle ! Un exploit, finalement, pour un limicole du genre minus, puisqu’il ne dépasse pas 25 à 50 grammes ; à titre de comparaison, un Moineau domestique pèse 30 grammes ! Les Chevaliers guignettes qui passent à côté de lui paraissent presque obèses (mille excuses Solène…).

Il a la particularité rare que le mâle est moins coloré que la femelle, puisque celle-ci parade et est polyandre, laissant à monsieur le soin de s’occuper seul de la couvée et de l’élevage rapide des poussins. 

Un juvénile est observé sur le Parc depuis le 26 août 2022, profitant, avec les niveaux d’eau bas et la chaleur, de la manne d’insectes en surface au poste 9, en compagnie des Barges à queue noire, des Bécassines des marais et des chevaliers de toutes espèces. Attention, en bon pélagique, il n’est présent qu’à marée haute ! 

Notre globe-trotteur  a aussi une autre particularité, celle de nager activement en rond comme une toupie en provoquant des tourbillons pour faire remonter les micro-invertébrés en surface. Il a tout pour être parfait, efficace et moderne !

Observé sur le Parc tous les ans et demi de 1973 à 1993, ce phalarope est présent quasiment chaque année de 1994 à 2022. Comme au niveau national, la majorité des données concerne la migration postnuptiale. Mais les observations de printemps augmentent aussi (8) s’étalant du 28 avril (en 1986) à la mi-juin. Avec le réchauffement climatique, les périodes de forts vents augmentent, obligeant les oiseaux à fréquenter de plus en plus le site comme zone refuge. En France, on dénombre chaque année une cinquantaine de données de ce joli petit limicole. Ce qui fait du Parc du Marquenterre un des lieux les plus réguliers pour son observation !  

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Cécile Carbonnier

Cet été, nous avons été témoins d’un événement plutôt positif. Comme chaque année, quelques couples d’Huîtriers pies ont niché sur le Parc. On a pu voir des individus couver aux postes 1, 3 et 6, notamment. Néanmoins, comme chaque année, la reproduction à été difficile. La prédation est forte sur les poussins, quelles que soient les espèces. Ils ont donc du mal à survivre.

Mais cette saison, le couple d’Huitriers du poste 1 a été surprenant. Depuis février, on a pu l’observer sur les îlots, gardant son territoire. L’arrivée de la colonie de Mouettes rieuses et mélanocéphales nous a fait perdre espoir de les voir se reproduire. En effet, ces dernières prennent beaucoup de place sur les îlots et le risque de prédation devient très élevé. Mais les huîtriers ont été longs à s’installer, véritablement ! Ils ont en fait attendu que la colonie commence à se disperser pour pondre et couver. Ils ont débuté aux alentours du 20 juin. L’attente a été longue, très longue… À tel point qu’on s’est même demandé s’ils ne couvaient pas des cailloux ! Finalement, presque un mois plus tard, le 16 juillet, un petit poussin est observé ! Chaque jour, les guides ont eu la joie de le revoir, toujours présent, toujours vivant. Les parents le nourrissent souvent, déterrant des vers et les posant devant le jeune.

Il a vite grandi et pris un plumage proche des adultes. Seul le bout du bec noir permettait de le reconnaître aisément.  Au bout de presque 1 mois, on a commencé à le voir faire de petits vols planés. Puis, finalement, le 14 août il est officiellement volant. Pendant quelques jours, les trois individus sont restés au poste 1, dans la grande prairie.

Le 21 août, les parents et le jeune partent en baie ensemble. Un adulte avec le jeune sont  revus le 23, mais plus rien depuis… Le jeune étant assez grand pour aller en baie où la nourriture est plus abondante, ils y resteront tant que possible. Les parents continueront à nourrir le jeune pendant encore quelques semaines. Il apprendra entre autres choses à ouvrir les coquillages avec son bec, technique fétiche des Huitriers qui demande beaucoup d’entraînement.

Pour le Parc, c’est une première depuis plus de 10 ans. Pour de nombreuses raisons (prédation, montée des eaux soudaine, abandons, dérangements, couples vieillissants etc.), aucun jeune d’Huitrier n’était arrivé à l’envol depuis de nombreuses années. Plus encore, un second jeune Huitrier grandit actuellement au poste 6, né le 12 août avec deux autres poussins qui n’ont pas survécu. Reste à voir jusqu’où il ira…

Texte : Quentin Libert / Illustration : Nathanaël Herrmann

Samedi 20 août, un juvénile de Chevalier stagnatile est observé au poste 2 lors du stage ornithologique sur la découverte des limicoles (les organisateurs font bien les choses !). Ce bel échassier est un grand migrateur, nicheur dans les marais et la taïga du centre de l’Eurasie, de l’est de la Biélorussie au lac Baïkal. Il passe annuellement en France en petit nombre – 85 observations en moyenne par an -, de mi-mars à début mai (avec un pic en avril) et de fin juin à septembre (avec un maximum en août), surtout en Méditerranée. Il s’agit le plus souvent d’individus isolés. En effet, la majorité des oiseaux migrent par l’est de l’Europe (Bosphore, Eilat, Sinaï…)  pour  hiverner en Afrique de l’Est et dans le sud du Moyen-Orient. 

C’est un chevalier tout en élégance, facile à reconnaître, avec son allure élancée d’Échasse juvénile – comme pour elle, ses tibias sont démesurés -, un long bec fin en forme d’aiguille, et un port de tête porté vers le bas. La manière de se nourrir fait penser à celle du Chevalier arlequin, très métronome. Sa taille est intermédiaire entre celle du Chevalier culblanc et du gambette. Son cri ressemble au son flûté du Chevalier aboyeur. Moralité : il possède un peu des caractéristiques de tous les autres chevaliers pour être lui-même ! 

Sur le Parc, il n’a pas été observé de 1973 à 1984. De 1985 à 1992, il a été aperçu à 5 reprises entre les deux passages migratoires : 1 le 23 avril 1992, 1 les 11 et 12 mai 1985, 1 début mai 1986, 1 le 29 juillet 1989, 1 du 5 au 18 août 1992. De 1994 à 2021, les observations s’intensifient (extension de la population nicheuse vers l’ouest en Finlande et en Pologne) mais restent très irrégulières : 1 du 27 juin au 12 septembre 1990,  1 du 8 au 28 juillet 1994, 1 le 15 août et 2 le 16 août 1994, 1 immature du 27 juin au 14 août 1995, 1 le 19 mai 1996, 1 les 26 et 28 juin 1997, 1 le 6 juillet 1997, 1 le 9 août 1997, 1 du 31 août au 2 septembre 2009, 1 le 12 septembre 1994. Les  migrateurs de printemps sont à l’inverse maintenant devenus plus rares : 1 du 23 mars 2003 au 20 avril 2003, 1 le 4 avril 2015, 1 le 12 mai 2021.

Hélas notre beau limicole n’a pas stagné : le lendemain il n’était plus là, mais de nombreuses personnes ont pu quand même en profiter. Dernier détail : stagnatile vient du latin stagnatilis qui signifie “étang d’eau non courante”. 

Merci à Delphine Potoski, avec qui nous avons eu le plaisir de partager cette belle observation, pour ces deux photos de notre star d’un jour !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Delphine Potoski

« Siiii » ! Petit cri annonciateur de l’éclair qui va suivre. On lève la tête, sur le qui-vive, à la recherche de l’origine de ce son. Une flèche bleue et orange passe alors, et en une fraction de seconde la voilà déjà disparue. L’observation n’a duré qu’un bref instant mais, malgré tout, nous emplit de joie. Nombreux sont ceux espérant le voir au détour d’un cours d’eau, et même les plus novices connaissent son nom : le Martin-pêcheur.

Depuis quelques semaines, sa présence s’intensifie sur le Parc. Ils l’ont déserté au printemps, à la recherche de berges hautes où ils pourraient creuser leurs terriers. Mais maintenant que les jeunes de la dernière couvée sont indépendants, ils se dispersent et nous font l’honneur de leur présence. Le Martin-pêcheur est visible un peu partout sur le Parc, mais certains secteurs sont plus propices. La clôture du poste 1, située sur l’eau, est un perchoir apprécié. Les arbres des postes 9 et 10 semblent aussi attrayants. Il est cependant observé en vol un peu partout, même au poste 13 !

Mais alors, pourquoi s’appelle-t-il Martin ?

De nombreuses hypothèses existent, aucune n’étant complètement satisfaisante.

Néanmoins, nous pouvons noter qu’il était autrefois appelé « Martinet-pêcheur ». Une analogie entre deux espèces qui peut s’expliquer par leur déplacement plutôt rapide et une silhouette en vol assez arquée (bien que le martinet le soit nettement plus). D’ailleurs, dans certaines régions on appelle le Martin-pêcheur « Martinet » et le Martinet « Martin ». L’évolution de Martinet à Martin est plutôt floue.

Une autre hypothèse est liée à Saint-Martin. L’histoire raconte : « Un jour, voyant des oiseaux pêcheurs se disputer des poissons, il explique à ses disciples que les démons se disputent de la même manière les âmes des chrétiens. Et les oiseaux prirent ainsi le nom de l’évêque ; ce sont les Martins-pêcheurs. »

Il peut aussi s’agir d’un mélange de ces deux hypothèses, ou bien une toute autre raison. Comme l’Histoire, l’étymologie est parfois (voire souvent) incomplète ou hypothétique…

Texte : Quentin Libert / Illustration : Eugénie Liberelle

Ça y est, la migration postnuptiale (de l’aire de reproduction vers l’aire d’hivernage) a commencé pour les oiseaux de la famille des Scolopacidés. Cette famille regroupe entre autres les barges, courlis, avocettes et chevaliers, qui sont des oiseaux limicoles : ils se nourrissent dans les milieux vaseux. La baisse des niveaux d’eau en été dans le Parc leur est favorable, puisque les vasières et zones dénudées leur servent de garde-manger et de reposoir.

L’oiseau qui nous intéresse aujourd’hui est un chevalier très reconnaissable à son comportement, qui lui a même valu son nom. Il s’agit du Chevalier guignette (Actitis hypoleucos) dont l’épithète vient du vieux français « guignier » signifiant « faire signe ». En effet, à l’arrêt ou même en se déplaçant, le Chevalier guignette hoche la queue de bas en haut, de manière assez rythmée, comme vous pouvez le voir sur cette vidéo : https://youtu.be/Z7LryW_11Hc.

Ce petit chevalier de 21 centimètres niche en juin dans les taïgas du nord de l’Europe, avant de descendre passer l’hiver en Afrique de l’ouest. C’est au cours de ses haltes migratoires dans les marais d’eau douce ou saumâtre européens que l’on peut l’observer. Au Parc, il est ainsi présent d’avril à mai puis de juillet à septembre, avec un maximum de 68 individus observés sur l’ensemble du site le 8 août 2021 !

Lors de vos promenades, n’hésitez donc pas à scruter les berges à découvert, à la recherche de ce chevalier en train de trottiner en quête de petites proies à glaner !

Merci à Jean Bail pour ses deux photos de notre sympathique rase-motte aux mœurs plutôt solitaires. Et si vous regardez attentivement, vous remarquerez que sur le premier cliché, il guette de son œil gauche un potentiel danger venu du ciel…

Texte : Solène Bischoff / Illustrations : Jean Bail, Solène Bischoff

Discrète, elle se faufile entre deux roseaux… pour venir se nourrir d’insectes et de graines sur une vasière en assec. Le moindre bruit, l’ombre d’un survol la font se réfugier dans la forêt aquatique qui se développe au pied du poste 4. Il faut dire que la Marouette de Baillon ne fait que 40 à 50 grammes, soit la masse d’un étourneau, et qu’elle passe sa vie dans la végétation palustre, sortant plutôt le soir. Mesurant à peine 18 cm, elle pourrait être confondue avec un autre membre de la famille des Rallidés, la Marouette poussin (Zapornia parva). Toutefois la Marouette de Baillon ne possède pas de rouge à la base du bec, contrairement à sa cousine. De plus, elle a des ailes courtes et des barres noirâtres et blanches assez importantes sous l’arrière de son corps.

C’est la première observation sur le Parc depuis 1973 (la 318ème espèce en 50 ans). Notre petite vedette est rare au niveau européen, avec une population extrêmement fragmentée estimée entre 760 et 3200 couples (Espagne, Roumanie, Russie, Ukraine…). Elle est d’ailleurs classée en Danger Critique (CR) sur la Liste rouge des oiseaux nicheurs en France métropolitaine (2016). Mais sa population est très mal connue ; l’atlas des Oiseaux de France 2000-2012 l’estime entre 0 et 7 couples ! Toutefois la discrétion de ce petit oiseau ne facilite guère ses contacts :  la Marouette de Baillon se faufile dans son milieu avec une extrême prudence, comme vous pouvez le voir sur la vidéo en lien ci-joint prise dans le Parc le 28 juillet : https://youtu.be/0liK-lMZDnM

De plus, sa présence en période de nidification ne peut être confirmée souvent que par des écoutes nocturnes de son chant aux notes sèches et très courtes – souvent comparé à un ongle grattant les dents d’un peigne – de faible portée (200 à 300 mètres). Il peut alors facilement se confondre avec celui des batraciens, eux aussi en plein concert à cette époque dans les scirpaies et cariçaies.

Une étude spécifique menée en 2021 par Benjamin Blondel, Tristan Guillebot de Nerville et l’équipe scientifique de Blanquetaque a permis la confirmation de plus d’une dizaine de mâles chanteurs en plaine maritime picarde. Une remarquable nouvelle, mais qui a demandé beaucoup de patience, de travail et de temps nocturne pour ceux qui l’ont réalisée ! En Camargue, Damien Cohez, conservateur de la réserve régionale de la Tour du Valat (et ancien guide du Parc !), a entrepris le même travail au printemps 2020, permettant de recenser 15 à 16 mâles chanteurs… alors que l’espèce était considérée comme rarissime dans ce haut lieu de l’ornithologie française.

Il s’avère que ce petit oiseau est depuis quelques années plus remarqué en France, ce qui, pour une fois, est une bonne nouvelle. Mais cela semble être pour beaucoup l’effet des sécheresses drastiques au sud de l’Espagne et du Portugal qui feraient remonter les oiseaux plus au nord. L’espèce a besoin de bas marais inondés certes à faible niveau d’eau (moins de 30 cm), mais l’aridité qui règne dès la fin de printemps rend nombre d’habitats défavorables. Les conditions hydrologiques sont donc un des facteurs essentiels au maintien de la marouette dans notre région. Migratrice, cette espèce hiverne en Afrique du Nord et au sud du Sahara.

Mais qui était Baillon ? Et bien cocorico ! Un naturaliste des Hauts de France ! Louis Antoine François Baillon (1778-1855) est né à Montreuil-sur-Mer (vallée de l’Authie, Pas-de-Calais) mais passe une grande partie de sa vie à Abbeville, où il meurt. Passionné de nature comme son père, il correspond très vite avec les « grands » de l’époque que sont Cuvier et Buffon. Il travaille quatre ans comme assistant au Jardin d’Histoire Naturelle de Paris (le futur Museum). Il publie la Flore du département de la Somme et s’intéresse à toute la faune locale. À l’époque, les espèces sont systématiquement prélevées et échangées entre passionnés et muséums d’Europe. En 1819, il envoie un rallidé inconnu, capturé en Picardie, à Louis-Pierre Vieillot, ornithologue de renom originaire de Seine-Maritime (hélas bien oublié). Celui-ci baptise cette nouvelle espèce Rallus bailloni notre fameuse Marouette de Baillon ! Mais le naturaliste allemand Simon Pallas avait déjà décrit l’espèce en 1804 ; elle gardera le nom de Porzana pusilla. Néanmoins le nom de notre naturaliste local est resté dans la dénomination française… et britannique – Baillon’s crake – le Brexit n’était pas encore d’actualité… !

La Marouette ponctuée est observée quasiment chaque année sur le Parc ; la Marouette poussin, quant à elle, n’a fait l’objet que de 3 observations (1990 et 2007) en 50 ans. 

Nota bene : Si vous voulez en savoir plus sur le nom des oiseaux, et ne pas oublier quelques-uns de ceux qui les ont observés bien avant nous – nous permettant de fonder notre passion ! – nous vous conseillons ce livre remarquable : L’étymologie des noms d’oiseaux de Pierre Cabard et Bernard Chauvet, aux éditions Belin.

Texte : Philippe Carruette, Florian Garcia / Illustrations : Florian Garcia