Un nouvel Américain au Parc du Marquenterre

Après le Chevalier à pattes jaunes l’automne dernier, un nouveau « made in USA » nous fait le plaisir de traverser l’Atlantique. Ignorant tout protocole, arrivé en toute discrétion sans déplacement ou annonce officielle, un jeune Bécasseau tacheté arpente tranquillement les berges du reposoir de marée haute ce mardi 13 septembre. Il n’est nullement impressionné par les 6000 Huîtriers pie et les centaines de Courlis cendrés qui se tiennent derrière lui. Pense-t-il que c’est pour lui tout ce grand rassemblement ? Ah ces Américains, tellement dans la démesure ! 

En tout cas, nous avons fait un véritable tour du monde géographique sur ces quelques mètres de vasières, puisque notre Américain était en compagnie de deux jeunes Bécasseaux cocorlis sibériens, de dizaines de Grands Gravelots norvégiens, de quelques Bécasseaux variables venus des bords de la Baltique, d’une Barge à queue noire islandaise, et d’une Barge rousse de Laponie ! Que d’émerveillements, de respect et d’humilité migratoire devant nos yeux ! Cette seule raison devrait largement suffire à protéger tous ces oiseaux parcourant des milliers de kilomètres, s’affranchissant des frontières.

Le Bécasseau tacheté niche en effet dans l’Arctique américain et canadien. C’est un grand migrateur nocturne qui va hiverner jusqu’au Chili et en Terre de Feu. Lors des tempêtes et ouragans imprévisibles, il peut traverser l’Atlantique et se retrouver en Europe : il est alors dérouté durant sa migration, et est poussé plein ouest par les vents tempétueux pour arriver sur le continent européen. Ce limicole aux ailes très fines et profilées – elles se tiennent croisées derrière la queue – est capable de grandes traversées marines, même si en cas de fatigue des oiseaux peuvent s’arrêter sur les pontons des bateaux. 

Il est relativement facile à reconnaître. Se tenant haut sur pattes, il est un peu plus grand que le Bécasseau variable avec des pattes verdâtres et une large bande pectorale grisâtre se terminant en petite pointe col en V ; très chic ! La queue en fer de lance est noire au centre, rappelant l’aspect du corps d’un jeune Bécasseau cocorli, avec les ailes tachetées en écailles de tortue. Le bec est assez long, légèrement courbé, noir à base verdâtre à orangé. 

De l’Alaska à la Baie d’Hudson, il niche dans la toundra au printemps au milieu des bouleaux nains et des lichens. Une population niche aussi en Sibérie orientale ; elle part hiverner après un voyage étonnant jusqu’en Océanie, Nouvelle-Zélande et Tasmanie. C’est le plus régulier des limicoles américains en France (entre 10 et 50 observations par an). Notons que la dernière venue de cet oiseau au Parc date du 28 septembre 2018 ; avant cela, nous ne l’avions pas croisé depuis 2009 !

Marée haute oblige, inutile de préciser que quelques minutes après la découverte, le poste d’observation était plein d’admirateurs, photographes, guides ou visiteurs néophytes pour l’accueillir dignement ! Tapis rouge pour l’Oncle Sam, on sait accueillir au Marquenterre ! Ce sont des grands moments de partage pour tous, et ici, quel que soit le niveau de connaissances, on a bien entendu le droit (et le devoir !) de partager les mêmes plaisirs des yeux du vivant !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Florian Garcia