Hybridation…

Le 13 juillet 2022, un drôle d’oiseau traverse la héronnière au Parc du Marquenterre. Son physique ressemble étrangement à celui du Héron cendré, mais en plus petit, et certaines parties de son corps sont blanches. Cette observation n’est pas sans nous laisser un sentiment de déjà-vu. En effet, en 2018, une observation similaire avait déjà été constatée pour la toute première fois sur le Parc : un cas rare d’hybridation entre le Héron cendré (Ardea cinerea) et l’Aigrette garzette (Egretta garzetta) sauvages.

Issu d’un couple mixte, il comporte des caractéristiques des deux espèces. Sa taille est intermédiaire entre les deux. Son dos est gris, mais il présente davantage de zones blanches que les individus observés en 2018. Sa poitrine, sa calotte, ses joues et son front sont blancs. Son cou est blanc tacheté de gris et une partie de ses rémiges est blanche également. Ses pattes sont gris jaunâtre et son bec, entièrement gris foncé, se rapproche plutôt de la forme de celui du Héron cendré, car moins effilé que celui de l’Aigrette garzette. En vol, de loin, sa morphologie ramassée, son vol lent et sa taille font penser à un Bihoreau gris ou à une Aigrette garzette “baraquée”.

Cette année, deux jeunes individus différents ont été observés, mais le nid n’était pas visible. Curieusement, par rapport à des juvéniles de Hérons cendrés ou d’Aigrettes garzettes purs, ces juvéniles semblent très discrets, se posant peu à découvert et cherchant le couvert à la héronnière.  Le premier jeune volant est observé le 13 juillet 2022. Le second, morphologiquement plus petit, sera observé volant le 19 juillet. Une Aigrette garzette viendra le nourrir sur une branche ce même jour, comportement plutôt attribué à cette espèce qu’au Héron cendré. Il sera ensuite revu le 22 juillet dans la héronnière. Ces observations sont donc les secondes au sein du Parc. 

En 2018, le nid est partiellement visible depuis l’observatoire et comprend trois jeunes. Le couple est formé d’un mâle d’Aigrette garzette et d’une femelle immature de Héron cendré. Le premier jeune est volant le 14 août alors que les deux autres sont encore non volants le 23 août. Ceci démontre une nidification très tardive avec une formation de couples fin-juin début juillet. L’hypothèse de l’union de ce couple mixte est alors le manque de partenaire femelle pour l’Aigrette garzette. En effet, des parades nuptiales de mâles d’Aigrette garzette (gloussements) avaient encore lieu très tardivement jusque fin juin, comportement inédit depuis la nidification de cette espèce dans la héronnière du Marquenterre en 1987. Il est donc probable que, faute de partenaire, un accouplement entre un mâle d’Aigrette garzette et une femelle de Héron cendré ait eu lieu.

En 2022, en revanche, une période de parades normale se terminant vers la fin mai a été observée et aucun manque de partenaires notable n’est à déplorer. Serait-ce donc le couple de 2018 qui aurait tenté à nouveau l’expérience ? Pour appuyer cette hypothèse, nous avons constaté que cette année, la nidification a eu lieu à des dates, certes tardives, mais dans la normalité des couples de ces Ardéidés. Pourtant, entre 2019 et 2021, aucun juvénile de ce type, bien reconnaissable, n’avait été observé. Ceci malgré une pression quotidienne d’observations sur ce lieu, quelque peu ralentie en 2020 par la crise sanitaire.

Ces cas d’hybridation entre Ardéidés sont peu fréquents. Un autre cas sauvage est relaté en Italie dans le delta du Pô, mais cela reste extrêmement rare. Ces hybridations ont plutôt lieu en captivité et entre espèces du même genre. Un premier cas d’hybridation entre Aigrette garzette et Héron cendré avait déjà été documenté en 1983 et 1985 au parc du Zwin en Belgique. L’hybridation avait eu lieu entre des individus en captivité contrairement aux individus observés au Parc, entièrement sauvages.

Texte : Lucie Ligault, Philippe Carruette / Illustrations : Thierry Nolland