À l’écoute de la nature

Fin juin débute la période de baguage des jeunes Cigognes blanches. Un programme du Muséum de Paris (Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d’Oiseaux) permet de suivre la population en expansion de ce grand échassier dans les Hauts-de-France et en Seine-Maritime. En Picardie, une soixantaine de couples nichent cette année. La quasi-totalité de ces couples est localisée sur notre littoral et en basse vallée de la Somme (35 couples) et de l’Authie (15 couples). Des couples s’installent aussi maintenant de plus en plus dans le Pas-de-Calais, et même dans le Nord (10 couples). Les Hauts-de-France, terre de Cigognes !

Naturellement, dans notre région, les couples de Cigognes blanches installent leur nid au sommet des grands arbres fourchus souvent morts, voire sur les pylônes électriques. Il n’y a pas de tradition de nidification sur les bâtiments. Ces nids, très hauts, sont inaccessibles au baguage. La plupart des poussins de cigognes sont ainsi bagués sur les nids construits sur les plateformes disposées à leur intention… mais aussi pour faciliter le travail des ornithologues bagueurs. Ils sont aisément accessibles avec une échelle ou un engin élévateur. 

À l’arrivée du bagueur, les jeunes font les morts au fond du nid. Leurs yeux sombres révulsés accentuent encore le stratagème face au prédateur potentiel. En effet, l’immobilisme évite bien souvent le risque d’attaque déclenchée par le mouvement. Les poussins sont bagués entre 6 et 7 semaines. Rondouillards (parfois plus de 3,5 kilos !), les plus âgés se mettent parfaitement debout et bougent leurs ailerons encore bien courts et flasques, même si les plumes noires des rémiges ont bien poussé. 

Les jeunes sont descendus du nid pour être bagués au sol en toute sécurité. Ils sont munis obligatoirement d’une bague en métal du Muséum de Paris avec un numéro unique pour chaque oiseau. Le bagueur pose également une grosse bague en plastique verte avec 4 grosses lettres en majuscule. Cette bague, très lisible aux jumelles ou à la longue-vue, permettra un suivi à distance de l’oiseau durant ses déplacements migratoires. 

On sait grâce à ces bagues que tous les jeunes nés dans notre région partent hiverner en Espagne (notamment autour de Madrid), au Portugal (région de Faro) mais aussi en Afrique (Mauritanie, Mali, Niger…). On connaît aussi parfaitement la route empruntée par nos oiseaux qui évitent la Bretagne et trouvent des arrêts favorables en Mayenne ou dans les Deux-Sèvres. Certains rares individus passent aussi par le sud-est (Champagne, Var) regagnant l’Espagne par le Languedoc-Roussillon. 

C’est généralement au bout de deux ans qu’ils rejoignent leur site de nidification, mais de plus en plus de cigognes reviennent dès le printemps suivant. Quelques-unes vont retrouver leur secteur de naissance, mais la majorité part nicher loin de leur lieu d’origine. Ainsi, des jeunes nés au Parc du Marquenterre sont désormais installés en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Vendée, en Loire-Atlantique et même… en Alsace pour un couple ! À l’inverse, sur le même site protégé du Marquenterre nichent des cigognes nées en Belgique, aux Pays-Bas et surtout originaires de Normandie où les effectifs atteignent aujourd’hui plus de 200 couples, notamment dans la Manche, l’Orne et le Calvados !

Les cigogneaux sont pesés et mesurés (bec, ailes, tarses…). Deux plumes sont prélevées pour des analyses génétiques en laboratoire, permettant de connaître le sexe, pour déterminer des orientations migratoires et de fixation entre mâles et femelles.

La Cigogne blanche se porte maintenant tout de même bien dans notre région. Mais n’ayons pas la mémoire courte. En 1979, seulement 11 couples nichaient encore dans toute la France ! Les mauvaises conditions atmosphériques printanières et la chute des nids sur les arbres morts sont des causes naturelles de régulation de l’espèce. Bien des sites lui sont encore potentiellement favorables, notamment dans les grandes vallées intérieures picardes. Michel Jeanson, fondateur du Parc du Marquenterre, qui a voué une grande partie de sa vie à la réintroduction de cette espèce, serait sans nul doute bien heureux de ce résultat.

Texte et illustrations : Philippe Carruette