Un poisson hors norme
Parmi les différentes espèces de poissons du Parc, l’une d’entre elles est tout à fait particulière. Il s’agit de l’Anguille d’Europe ou Anguille commune (Anguilla anguilla). C’est la seule représentante de sa famille (les Anguillidés) en Europe. Cette espèce présente plusieurs particularités étonnantes…
Un grand migrateur
La vie de l’Anguille d’Europe commence… en mer des Sargasses, au large de la Floride. À peine nées, les larves entament une migration de 6 000 km qui durera plusieurs mois. Portées par le Gulf Stream, elles rejoignent les côtes européennes. Elles vont alors remonter les cours d’eau pour rejoindre des zones d’eau douce où elles pourront s’alimenter et grandir pendant plusieurs années.
Une fois atteint le stade dit d’anguille “argentée” (appelé ainsi pour la couleur du corps, en opposition aux anguilles dites “jaunes” qui sont encore en croissance), elle repart pour la mer des Sargasses pour se reproduire et pondre. Le retour se fait d’une traite ; elle survit grâce aux réserves de graisse emmagasinées avant le départ.
Notons qu’il s’agit de la seule espèce de poisson migrateur à se reproduire en mer et à grandir en eau douce.
Mais comment peut-on les retrouver dans les plans d’eau du Parc alors qu’aucun cours d’eau n’assure la liaison avec la mer ? Pour deux raisons. D’abord, elles accèdent au plan d’eau du poste 1. Pour ce faire, elles passent par la trappe qui sert à la gestion des niveaux d’eau située dans la digue, au fond de cette lagune artificielle. Elle est généralement ouverte lors des marées hautes importantes, ce qui permet au poisson d’entrer. La seconde est détaillée dans le paragraphe suivant…
Hors de l’eau
L’Anguille d’Europe présente des particularités physiques particulières. Pendant sa forme dite “jaune”, elle sécrète un mucus sur sa peau. De plus, elle est capable de respirer à l’air libre. Ces caractéristiques facilitent la reptation, c’est-à-dire un déplacement rampant comme un serpent. Cela lui permet de se rendre d’un plan d’eau à un autre même s’ils ne sont pas connectés.
L’Anguille et l’Homme
L’Anguille d’Europe est considérée en danger critique d’extinction selon l’UICN. On estime une baisse de 90% sur le recrutement en civelle (l’arrivée dans nos eaux de jeunes anguilles) par rapport aux années 1960.
L’espèce subit beaucoup de pressions. De nombreux obstacles se dressent maintenant dans nos cours d’eau (barrages, écluses…) et l’empêchent d’atteindre des zones favorables à sa croissance. Même sa capacité à se déplacer hors de l’eau ne peut l’aider à surmonter de tels ouvrages. La disparition des zones humides est un autre facteur à prendre en compte, ainsi que la pollution de l’eau et la surpêche.
Le fait est que cette espèce reste encore très peu connue. De grands mystères résistent encore aux scientifiques qui l’étudient, notamment concernant sa migration et sa reproduction. Pas facile de suivre un poisson à travers l’océan ! Une autre énigme est le devenir des adultes après s’être reproduits en mer des Sargasses. On suppose qu’ils meurent, après leur long voyage sans manger, mais rien ne le confirme. On ne sait même pas où ils se reproduisent exactement !
Une chose est sûre : il s’agit d’une espèce complexe et unique. Une seule zone de reproduction (connue) dans le monde mais des individus présents partout en Europe. Voilà un poisson difficile à protéger sans efforts communs ! De plus, jusqu’à présent, l’élevage en captivité ne permet pas la croissance d’individus sur le long terme.
À n’en pas douter, cette espèce nous réserve encore beaucoup de surprises, si elle survit jusque-là…
Texte : Quentin Libert / Illustration : Estelle Porres