Le temps des fauches

Dès l’aube, bien avant l’ouverture du Parc au public, le lieu s’anime déjà :  ici comme sur les autres terrains du Conservatoire du Littoral gérés par le Syndicat Mixte Baie de Somme – Grand Littoral Picard, les équipes techniques arrivent très tôt le matin pour entreprendre des travaux annuels de grande ampleur : le fauchage des prairies. Bravant la chaleur estivale, ces travailleurs de l’ombre se rendent dans la zone du Parc surnommée la “plaine aux mouflons”, une prairie humide de 20 hectares située à l’ouest du site, où s’épanouit une végétation pionnière composée, entre autres, de joncs et de carex remarquables. En quelques jours y seront coupés, pressés puis exportés pas moins de 420 ballots pesant chacun en moyenne 22 kilogrammes, ce qui équivaut à… 9,2 tonnes de végétation ainsi manipulée ! 

Mais au fait, pourquoi faucher ? L’évolution rapide des milieux de vie aboutit progressivement à leur fermeture. Les prairies herbacées ont tendance, naturellement, à s’embroussailler, avant de céder leur place aux arbres. Et à ce petit jeu, les saules sont des champions : en l’espace de 2 à 3 ans, ils atteignent aisément 1,20 à 1,60 mètres ! Or les prairies humides représentent un habitat unique, où s’épanouit une flore pionnière patrimoniale qui représente un enjeu de conservation majeur inscrit dans le plan de gestion de la Réserve Naturelle Nationale de la Baie de Somme. Afin d’éviter qu’une saulaie ne s’installe, le pâturage par les vaches Highland Cattle et les chevaux Henson représente une solution, mais la gourmandise de ces “tondeuses” vivantes a des limites : sans fauche, la végétation non appétante gagnerait du terrain. Adieu alors la Parnassie des marais et les belles orchidées !  

D’un point de vue avifaunistique, ces secteurs ras sont également très appréciés des Vanneaux huppés, qui peuvent y nicher au printemps et s’y reposer en-dehors de la saison de reproduction, mais aussi des Oies cendrées qui trouvent là des zones de nourrissage exquises. Les Hérons garde-boeufs profitent quant à eux des travaux pour suivre les tracteurs, et glaner ça et là les insectes et amphibiens en fuite ! Afin de garantir une gestion différenciée, notons qu’un tiers de la prairie sera laissé en libre évolution jusqu’à l’année prochaine : passereaux, insectes et micromammifères pourront ainsi se cacher dans les herbes hautes… 

Mais que faire de tous ces ballots ? Un château de paille ? Presque ! Une forteresse contre l’érosion marine ! En effet, le produit de la fauche a été exporté et valorisé un peu plus au nord, sur le cordon dunaire du Marquenterre, au niveau d’un siffle-vent (c’est-à-dire un couloir où s’engouffrent les courants d’air, générant les mêmes effets qu’une soufflerie géante) créé par le piétinement répété dans ce secteur. Rappelons d’ailleurs que la dune est un habitat fragile que maintient une végétation modeste. Pourtant, elle représente aussi notre principal rempart face à la mer. Alors respectons-là, et ne sortons pas des sentiers balisés !

Les travaux se poursuivront durant toute la saison estivale : les équipes techniques s’attaqueront bientôt aux zones de bas-marais du Parc, puis au banc de l’Islette, où pousse une plante très rare et menacée, la Pédiculaire des marais. Bravo et merci à Francis Pringarbe, Cédric Jolibois, David Delhaye, Jean-Yann Descamps, ainsi qu’aux gardes de la Réserve !

Texte : Cécile Carbonnier / Illustrations : Nicolas Bryant, Cédric Jolibois, Jean-Yann Descamps