Le mégalo des vasières

Entre deux averses, trois coups de vent et moult giboulées, les petites bêtes pointent modestement le bout de leurs antennes au Parc du Marquenterre. Car malgré la météo hostile, elles n’ont pas le choix : c’est la saison ou jamais pour trouver l’amour et assurer leur descendance !

Parmi elles, un insecte se laisse admirer sur les pontons et les palissades en bois proches des plans d’eau. Il s’agit du Sialis de la vase (Sialis cf. lutaria), un représentant de l’ordre des Mégaloptères – du grec megálou, “très grand”, et pterón, “aile”. 

Son corps tout mou, brun foncé à noirâtre, mesure une vingtaine de millimètres. Il est caché sous deux grandes paires d’ailes superposées, repliées au repos tel un toit protecteur. D’une envergure de 23 à 35 millimètres, elles sont joliment enfumées et pourvues d’une nervation noire caractéristique. La tête large, munie de petits yeux, porte deux antennes filiformes.

À noter qu’il existe 3 espèces très proches de Sialis : bien que S. lutaria soit la plus fréquente, on ne peut être certain de l’identification sans ausculter les pièces génitales à la binoculaire… Pratique quelque peu cavalière que seuls se permettent les entomologistes les plus licencieux. 

De mœurs plutôt crépusculaires et nocturnes, les adultes Sialis ne vivent guère plus de quelques jours, au printemps et en été, ne se nourrissant quasiment pas. Paradoxe de la nature : malgré leurs superbes ailes dignes d’inspirer les plus grands vitraillistes, ils sont fort maladroits en vol et préfèrent rester posés sur la végétation aquatique surplombant les points d’eau stagnante à lente. Une nouvelle preuve, s’il en fallait une, que ce n’est pas la taille qui compte…

Pour séduire sa belle, le mâle ne manque pas d’audace : il se place derrière elle, enfouit son museau sous sa “jupe” (le bout des ailes de la femelle), et se met à la suivre partout où elle va. Un vrai pot-de-colle ! Après quelque temps, et plusieurs mètres parcourus dans cette étrange queue-leu-leu, la demoiselle s’arrête enfin, signe qu’elle consent à s’accoupler. Et voilà son courtisan qui joue les contorsionnistes : il la saisit par les pattes arrière, avant de replier entièrement son abdomen, qui atteint alors l’extrémité de celui de sa dulcinée. Le tour est joué ! Une fois fécondée, celle-ci pond 500 à 2000 œufs en rangs serrés sur la végétation, et les abandonne là…

Les larves tombent dans l’eau à la naissance. Elles grandissent enfouies dans le sédiment vaseux, d’où l’épithète lutaria, “qui vit dans la boue”. Peu sensibles à la pollution, elles parviennent à se développer dans des eaux quelquefois très dégradées, où elles chassent divers petits animaux qu’elles prédatent grâce à leurs mâchoires puissantes. Leur croissance est lente, puisqu’il leur faut parfois attendre l’âge de 5 ans avant de se nymphoser ! Et acquérir leurs attributs qui émerveilleront les observateurs attentifs… petits ou grands !

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier