Auprès de mon Iris, je vivais heureux

En mai, les étangs du Marquenterre se parent d’atours royaux : les Iris des marais (Iris pseudacorus) dévoilent leurs majestueuses fleurs jaunes, comme autant de blasons monarchiques car, rappelons-le, ce sont eux qui inspirèrent la fleur de lys des rois de France. Et c’est ici, au cœur de l’inflorescence épanouie des flambes d’eau, que vit un tout petit prince au long nez… 

Mononychus punctumalbum, tel est son nom, est un minuscule coléoptère tout rondelet, qui appartient à l’immense dynastie des Curculionidae, les charançons, la plus importante famille du règne animal en nombre d’espèces. Il a hérité, comme tous ses cousins, d’un rostre proéminent qui porte deux antennes coudées à angle droit et terminées en massue. Tout au bout se trouvent les pièces buccales, des mandibules broyeuses parfaites pour mastiquer les fibres végétales. Certains osent dire que cet appendice est disgracieux. Savent-ils, ces insolents, qu’ils se rendent coupables de crime de lèse-majesté, ignorant que c’est grâce à ce museau long et robuste que son altesse creuse la chambre des futurs dauphins du royaume ? 

En effet, la floraison des iris, aussi somptueuse qu’éphémère, laisse rapidement place à leur fructification. L’heure n’est plus au batifolage ! La demeure du petit prince se transforme alors en grosse capsule triangulaire et allongée, renfermant le trésor royal : des dizaines de graines brunâtres. Elles seront à la fois le berceau et le festin exclusifs des larves de notre insecte. Pour les atteindre, Dame Charançon perfore la gaine protectrice du fruit avec son rostre, puis dépose ses œufs, avant de s’envoler vers d’autres horizons, laissant là sa descendance. 

Les héritiers du trône, blancs et potelets, grandissent des semaines durant, rongeant assidûment leur graine… Jusqu’à leur métamorphose complète, qui se déroule en plein été. C’est l’heure du couronnement pour les petites nymphes, qui acquièrent alors les prestigieux insignes royaux, par lesquels les entomologistes sauront les reconnaître. Tout d’abord, le sceptre : il s’agit de cette griffe unique sur le dernier article des tarses, qui est d’ailleurs à l’origine du nom scientifique de notre charançon, mono signifiant “un seul”, et onychium “ongle”. Il y a ensuite le manteau d’hermine : le corps ovale, mesurant tout juste 4 millimètres, est tantôt brun rayé, tantôt noir uni, mais toujours bordé de jaune sur le thorax et la tête. Puis vient la couronne : c’est ce point blanc que porte notre petit prince… sur le dos ! Une coquetterie en vogue à la cour. Enfin, l’épée : nul besoin de revenir sur ce rostre superbement arqué. 

Il est temps pour les modestes seigneurs des marais de quitter leur graine. L’automne arrivera bien vite, et il leur faudra trouver un château où passer la mauvaise saison. Là, ils se mettront en diapause : ils cesseront toute activité, abandonnant banquets et tournois pour attendre patiemment de voir refleurir leur demeure princière. Mais pour cela, une condition : que le fief gorgé d’eau qui les a vu naître ne soit pas drainé, asséché, comblé ! Car si l’iris disparaît… la lignée de charançons s’éteindra avec lui. 

Dernier détail. Que sa majesté prenne garde : tout ce qui brille n’est pas or… et tout ce qui est jaune n’est pas iris ! N’a-t-on pas vu la semaine dernière des charançons s’ébattre sur des boutons d’or ? Si si, de vulgaires renoncules prises pour des fleurs royales ! Et où pensaient-ils pondre leurs œufs, ces souverains déments ? Allez, longue vie aux zones humides !

Texte : Cécile Carbonnier / Illustrations : Eugénie Liberelle, Cécile Carbonnier

1 réponse
  1. Abisko dit :

    Merci Cécile pour ces observations et ce commentaire pittoresques et élogieux pour le travail de ce petit charançon mais je reconnais ne pas « craquer » devant ce petit prince – charmant – au long museau robuste !

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