Un Pouillot au chant hybride…        

Le 29 mai 2024, Eugénie Liberelle, guide naturaliste au Parc du Marquenterre, repère un chant étrange de Pouillot où se mêlent les notes de deux espèces : le Pouillot véloce (Phylloscopus collybita) et le Pouillot fitis (Phylloscopus trochilus). Le 1er juin, le chant est enregistré par Cécile Carbonnier, et l’oiseau observé sur son poste de chant dans un saule.

L’oiseau commence systématiquement par les notes caractéristiques de Pouillot véloce : « tchiff tchaff », au nombre maximum de quatre, mais le plus souvent trois voire deux. Le rythme est plus lent que le chant conventionnel, et sa tonalité plus haute. Ce premier passage « véloce » semble toujours hésitant, jamais régulier, comme mal maîtrisé. Ensuite, après un très léger blanc, il enchaîne dans la lignée, de manière impeccable cette fois, par la cascade descendante du fitis. Hormis les hésitations sur les premières notes, on a affaire à la personnalisation nette d’un chant à l’autre.

Physiquement, l’oiseau est déterminé comme un Pouillot fitis, avec un plumage paraissant moins coloré de jaune, pas contrasté, mais une taille comparable, et une formule alaire longue ; toutefois les pattes semblent un peu sombres. 

Le 4 juin, nous l’observons ensemble avec Serge et Martine Deroo et Olivier Fontaine ; l’oiseau est filmé. Il semble prostré sur sa branche de chant, l’œil fermé, faisa

nt douter de son état de santé, mais son chant est particulièrement constant et audible. Est-ce dû au vent de nord-ouest assez fort, gênant la stabilité sur la branche, ou à l’épuisement de ne pas contacter de partenaire potentiel pour un oiseau célibataire ? Il fut en effet entendu toute la semaine au même endroit, à tout moment de la journée. 

Cet oiseau fréquente un milieu fortement fermé à multiples strates et peu ensoleillé, où les chanteurs de Pouillot véloce sont bien présents dès mars (plusieurs oiseaux y sont régulièrement bagués à cette période) mais peu de chanteurs de Pouillot fitis, qui sont nombreux 300 mètres plus loin sur des saulaies plus ouvertes et claires.

Le 27 juin 2024, Noé Ferrari relate l’observation d’un Pouillot fitis dont le chant comprenait aussi en début le « tchiff tchaff » du Pouillot véloce. Il mentionne deux hypothèses :

  •     Un individu hybride, ne pouvant être confirmé que par la formule alaire ;
  •     Il existe des chants aberrants chez certains Pouillots fitis avec la présence de potentiels concurrents territoriaux, qu’ils appartiennent à la même espèce ou qu’ils s’agissent de Pouillot véloce.

Pour complexifier les choses, un même individu peut combiner un changement de chant et un chant mixte. Lawn (2018) évoque une convergence de caractères pouvant résulter de changements dans les populations et dans les habitats. Dans les secteurs où les deux espèces cohabitent – c’est le cas depuis toujours sur le Parc du Marquenterre – comme à l’interface entre les boisements et les zones ouvertes, des Pouillots fitis intégreraient le chant du véloce pour tenter de le concurrencer.

À noter que quelques jours plus tard, le 10 juin, un chant complet de Pouillot fitis est bien entendu exactement sur le même arbre, poste de chant de l’oiseau au chant hybride, sans pouvoir voir l’individu…

Néanmoins, malgré une pression quotidienne d’observation sur le Parc du Marquenterre, un programme de baguage STOC au printemps de 2004 à 2011, un programme de baguage à la mangeoire jusqu’en mars, et un IKA sur le lieu même de l’observation, jamais ce type de chant n’avait été remarqué depuis 1973. Il est intéressant de remarquer qu’il est tardif – tout comme celui de Noé Ferrari le 27 juin -, alors que les premiers chants de Pouillot fitis sont traditionnellement entendus sur le Parc au plus tôt sur 52 ans le 16 mars (2017 et 2018) et en 2025 le 19 mars. 

La population de Pouillot fitis est fluctuante, mais globalement en lent déclin depuis 2015 sur le site du Marquenterre connu pour ses fortes densités (un maximum de 27 chanteurs en 2011, et 35 adultes capturés par baguage au printemps 2004). Des années noires sont notées en 2006 avec seulement 5 adultes bagués – printemps froid et pluvieux – ou en 2011 avec le même nombre de captures – mais là avec un printemps très sec ! En 2025, la densité de chanteurs est moyenne avec un maximum de 14 chanteurs le 24 avril. Ce déclin, en lien en partie avec les changements climatiques défavorables à cette espèce nordique, provoquerait-il cette modification de chant pour concurrencer le Pouillot véloce ? 

Dans les commentaires, suite à l’article de Noé Ferrari dans Ornithomedia.com, David Bismuth mentionne également un chant mixte début véloce / fin fitis entendu au printemps 2024 au Bec d’Allier (58) avec un plumage de type Fitis.

Merci à tous les guides naturalistes du Parc du Marquenterre, à Pascal Raevel, Sandrine et Serge Deroo, et Olivier Fontaine… et tous les visiteurs du Parc du Marquenterre pour avoir partagé et discuté ensemble de cette observation.

Bibliographie :

Mike Law (2018), Interspecific territoriality by mixed-singing and song-switching Willlow Warblers : a possible case of character convergence. British Birds volume 111. Pages 339-348.

Peter Clement and Norman Arlot (1995), The Chiffchaff. Hamlyn Species guides

Noé Ferrari (2024), Observation d’un Pouillot fitis au chant aberrant près d’Abbeville (Somme) en juin 2024. Ornithomedia.com le web de l’ornithologie, brève 13/07/2024.

Texte : Philippe Carruette / Enregistrement : Cécile Carbonnier / Illustration : Sandrine et Serge Deroo

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