Le mois dernier, nous vous invitions à partir en expédition dans l’univers des petites bêtes de la Réserve de la baie de Somme.

Little Five, épisode n°1 : Le Lion du Marquenterre

Après avoir découvert la vie princière du Lion du Marquenterre, allons en quête du second grand prédateur composant notre Little Five : un être aux mœurs secrètes, dont les taches diffuses se mêlent aux ombres inquiétantes des ramures sauvages… Attention, tremblez devant… le Léopard ! 

Allez, quelques génuflexions en guise d’échauffement, et c’est parti pour notre safari au ras du sol !

La panthère des pluies

Une pluie fine et tiède ruisselle paresseusement le long du tronc d’un peuplier, parcourant son écorce crevassée jusqu’à une cavité mystérieuse, creusée au fil des ans. Elle recèle en son sein une minuscule mare temporaire, appelée dendrotelme, dont les rives obscures sont colorées de lichens orange, bleus, verts. C’est là, lovée au bord de cette piscine naturelle, qu’elle somnole indolemment, parfaitement dissimulée dans l’intimité de son arbre : voici la Limace léopard (Limax maximus).

Malgré ce que laisserait supposer son nom latin, elle n’est pas l’espèce la plus imposante de sa famille – les Limacidae – car une cousine la surpasse de quelques millimètres : la bien-nommée Grande Limace (Limax cinereoniger). Toutefois, avec ses 13 centimètres de longueur, c’est indéniablement une géante au royaume des minuscules. Certains chercheurs (et non chasseurs) de mollusques – appelés malacologues dans le jargon scientifique – auraient aperçu des individus mesurant jusqu’à 20 centimètres ! 

Le corps, gris cendré à brun pâle, possède un manteau (ou bouclier) marbré de taches noires, à l’arrière duquel se situe le pneumostome, cet orifice par lequel elle respire. La longue queue est elle aussi ornée de marbrures sombres formant deux ou trois bandes longitudinales plus ou moins discontinues, dont les motifs, variables en nombre et en intensité, sont propres à chaque individu – tout comme le sont nos empreintes digitales. Quant à la sole de reptation, cette partie inférieure du pied permettant à la limace de ramper sur toute sorte de surface, elle est uniformément crème. Sur sa tête, quatre tentacules rougeâtres rétractiles lui permettent de voir le monde…

En chasse

Alors que la lumière du jour décline, voici notre panthère qui s’étire, et sort nonchalamment sa frimousse jusqu’alors cachée sous le bouclier protecteur. Calmement, sans se presser, elle se met en marche – ou plutôt, en glisse – quittant le creux humide de son arbre. Pour avancer, elle sécrète un mucus incolore qui laissera une trace à peine brillante derrière elle, indice subtile de son escapade nocturne.

Notre héroïne a faim. Pas difficile, elle se contenterait de toutes sortes de mets : mousses desséchées, bois mort, plantes abîmées… Mais ce soir, ce ne sont pas ces champignons en décomposition qui l’intéressent, ni ces fleurs fanées tombées au sol. Non, aujourd’hui, elle veut troquer son régime détritivore pour un délicieux plat de viande ! 

D’ailleurs, elle a déjà repéré son repas, là-bas sur le chemin. La voici qui se met en chasse, tentacules tendues en avant, et poursuit sa proie à une vitesse de 15 centimètres par minute ! Plus que quelques longueurs et elle sera sur elle. Mais… Quoi ?! Serait-elle en train de traquer un congénère ?! Eh oui : notre panthère ne se refuse pas un petit plaisir cannibale de temps à autre…

Étreinte funambule

Revivifiée par ce repas gargantuesque, la panthère repue peut se consacrer à cet autre besoin qui l’anime : trouver l’amour, et assurer sa descendance. Désormais âgée d’un an et demi, il est grand temps pour elle de se reproduire. D’autant qu’elle n’aura pas de multiples occasions de procréer : une fois cette année, en plein cœur de l’été ; une fois l’année prochaine, à la fin du printemps. Elle sera alors presque arrivée au terme de sa vie, et mourra l’hiver venu… Alors il ne faut pas traîner !

Comme la majorité des gastéropodes, notre léopard est hermaphrodite : il possède à la fois les organes génitaux mâles et femelles. Mais pas question de s’autoféconder ! Non, il doit trouver un partenaire. Et cela tombe bien, car en voici un qui s’avance là-bas, sublime dans sa parure mouchetée. 

Les deux amants s’approchent l’un de l’autre, et commence alors une parade nuptiale qui scellera leur union : s’effleurant d’abord chastement, ils se mettent ensuite à tourner en rond, formant un cercle parfait, puis se courtisent délicatement en se léchant mutuellement des heures durant, semblant échanger leurs voeux dans ce long baiser…

Le couple amoureux escalade ensuite le tronc d’un arbre. Arrivé sur une branche suffisamment haute, il se laisse soudain flotter dans le vide par un épais fil de mucus arrimé à la végétation ; c’est là, dans ce moment suspendu entre ciel et terre, qu’ils entrelacent leurs corps, formant une torsade sensuelle. Puis les deux partenaires sortent chacun leur pénis blanc bleuté de leur gonopore – l’orifice génital situé sur le côté de la tête – et les enroulent l’un l’autre. Alors, dans le secret de cette étreinte, les léopards échangent leurs spermatozoïdes… 

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Une fois fécondés, chacun doit reprendre son chemin dans le silence de cette nuit d’été : l’un remonte le fil de mucus, tandis que l’autre le redescend. Jamais plus ils ne se reverront… 

Notre panthère se met ensuite en quête d’un lieu tranquille où elle pondra dans le sol une grappe compacte de dizaines à centaines d’œufs, petites billes gélatineuses transparentes mesurant à peine 5 millimètres. Dans trois semaines environ, une nouvelle génération de léopards viendra au monde… s’ils survivent à leurs multiples prédateurs : hérissons, crapauds, musaraignes, merles, sangliers… Tous feraient volontiers un festin de panthère.

Dans la communauté des dendrotelmes 

Déjà la lueur de l’aube inonde les prairies du Marquenterre. Il est l’heure pour notre panthère devenue mère de regagner son abri. Très routinière, elle est mue par un fort instinct de retour, et retrouve ainsi chaque jour la cachette où elle a ses habitudes. 

Non grégaire, elle préfère mener sa barque en solitaire… Enfin, presque ! Car c’est tout un peuple miniature qui partage son trou d’arbre, en quête de la fraîcheur de ce microhabitat : cloportes, escargots, iules… La vie grouille dans cette oasis protectrice, une vie que l’on n’imagine même pas.

Alors quand vous vous promènerez à proximité d’un cours d’eau, en forêt, dans un jardin ou même en ville, jetez un coup d’œil discret dans les crevasses des vieux arbres. Peut-être y trouverez-vous notre léopard en train de sommeiller…

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Pour découvrir la suite de ce “Little Five” made in Marquenterre, rendez-vous le mois prochain… ou bien directement au Parc, le 11 juillet, pour une sortie spéciale en quête de petites bêtes ! 

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier

Lion, Léopard, Rhinocéros, Éléphant, Buffle : peut-être rêvez-vous de capturer dans vos jumelles l’un de ces grands mammifères composant le mythique “Big Five”, imaginé par Ernest Hemingway dans son récit Les Vertes Collines d’Afrique paru en 1935… 

Bonne nouvelle : nul besoin d’embarquer pour le Parc du Serengeti ou le Kruger ! Venez plutôt explorer les dunes du Marquenterre, car c’est ici, lovés au cœur de la Réserve naturelle nationale de la Baie de Somme, que sommeillent des merveilles insoupçonnées de la nature. Aucun trophée à récolter, sinon le plaisir d’observer – ou, à la rigueur, de photographier – cette faune subtile qui se dérobe à nos yeux… ou qu’on ne regarde que trop peu. Quant aux furieux de la gâchette, ne soyez pas hors-sujet, et troquez donc votre fusil contre une bonne loupe ! Alors, prêts pour un safari au ras du sol

Le Lion de cristal 

Notre périple débute au crépuscule, dans les frondaisons des saules. C’est là, à l’heure où chante le rossignol, qu’un formidable prédateur se met en chasse… Il navigue à vue dans la végétation, se servant de son instinct millénaire pour détecter l’objet de sa quête. Soudain, ses yeux d’or se braquent sur sa proie : dans quelques instants, c’est certain, ses mâchoires puissantes se refermeront sur elle ! 

Point de crinière couleur savane ni de muscles saillants ici mais, tout au contraire, un corps frêle, vert d’eau, parsemé de taches noires, à peine caché sous le toit immense de ses ailes hyalines si délicatement nervurées : voici le Lion des Pucerons (Chrysopa perla). Sur le sommet de sa tête, un anneau ébène dessine une couronne rappelant sa lignée princière : le lion n’est-il pas le roi des animaux ? 

Mesurant à peine plus d’un centimètre, pour une envergure atteignant le triple, il appartient à l’ordre des Névroptères, un groupe qui rassemble d’étranges insectes possédant deux paires d’ailes membraneuses de taille égale, décorées de multiples nervures, comme les ascalaphes, les mantispes et les fourmilions. Celui-ci porte de longues antennes filiformes, plantées entre ses yeux aux reflets d’ambre. C’est d’ailleurs ce regard de braise qui a inspiré son nom de famille – les Chrysopidae -, khrusôpós signifiant “œil d’or” en grec ancien. 

Majesté en danger

Mais une si belle parure n’est pas nécessairement un atout : et voici notre monarque qui se déplace d’un vol incertain, maladroit – empêtré, osons le dire ! – dans les bois, les jardins et les prairies où s’étend son royaume… Une gaucherie qui en fait une proie de luxe pour les oiseaux et les chauves-souris, toujours prompts à décapiter les souverains alléchants ! Or le Lion n’a ni crocs, ni griffes pour se défendre, seulement une glande répugnatoire exhalant une odeur peu ragoûtante, censée couper l’appétit des gourmands.

Toutefois, que les plaisantins prennent garde, car notre roi a l’ouïe fine : à tel point qu’il est capable de détecter les ultrasons émis par les chiroptères, son pire cauchemar. Sitôt qu’il perçoit la rumeur des pipistrelles, il bloque ses ailes, par un fabuleux réflexe d’immobilisation, puis tombe en chute libre et disparaît dans la nuit…!

Amours léonines 

Le mois de mai est arrivé, puis viendra l’été : il est grand temps d’assurer sa descendance. Tel un rugissement lancé sous le ciel étoilé, notre Lion émet un chant de cour retentissant. Du bout de son abdomen vibrant d’excitation, il frappe un support, et exécute alors une série rythmée de tambourinages, dans une langue qui n’appartient qu’à lui. Tout à coup, une princesse aux yeux d’or fait son apparition, attirée par cette partition palpitante et syncopée, prélude à une parade nuptiale où les ailes frissonnent et les antennes s’effleurent… Jusqu’à l’accouplement.

Une fois fécondée, la lionne devenue reine s’affaire : elle pond des œufs elliptiques, isolément, dans la végétation. Chacun est suspendu à un mince pédicelle, sorte de filament flexible si ténu qu’on ne le voit pas, ce qui donne l’impression que l’œuf flotte dans les airs, comme en apesanteur… Elle en pondra entre 20 et 40 par jour, jusqu’à sa mort prochaine, offrant ainsi l’opportunité à 1000 petits princes de perpétuer la noble lignée.

La part du lionceau

Et que ses rejetons seront voraces ! Si les adultes agrémentent leurs repas de quelques délices sucrés – miellats, nectars, pollen – les larves sont, quant à elles, de véritables petites carnassières, qui se nourrissent exclusivement de minuscules arthropodes au corps mou, comme les pucerons et les acariens. Leurs parents leur ont légué de puissantes mandibules qui leur permettent, en toute autonomie, de saisir et dévorer leurs proies. 

Elles en engloutiront entre 200 et 500 au cours de leur développement, qui durera une quinzaine de jours. Un nombre qui les élève au rang d’alliées du jardinier : à  l’instar des coccinelles, elles sont devenues chez les humains des agents prodigieux en matière de lutte biologique, remplaçant les insecticides chimiques, poisons de notre environnement et ciguë de nos vies…

Le roi est mort, vive le roi !

Quand l’heure sera venue, les larves se tisseront un cocon de soie suspendu à la végétation, dans lequel elles se nymphoseront, gardant pour elles-mêmes le secret de cette métamorphose. 

Fin août sonne la fin du règne pour notre souverain. En effet, chez cette Chrysope, les adultes n’hivernent pas : tous les imagos s’éteindront en même temps que l’été, contrairement à certaines de leurs cousines plus chanceuses, qui passent la mauvaise saison à l’abri d’un tas de bois, d’un trou d’arbre ou, plus modestement, d’une feuille morte délicatement enroulée sur leur corps gracile. Il faudra donc compter sur la future génération de lionceaux, alors en dormance, pour voir régner encore, dès le printemps prochain, le Lion des Pucerons. 

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Pour découvrir la suite de ce “Little Five” made in Marquenterre, rendez-vous le mois prochain… En attendant, bons safaris à tous au pays des minuscules ! 

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier

Une journée ensoleillée sans vent peut nous permettre de croiser un petit papillon peu abondant sur le Parc : l’Hespérie de la Mauve (Pyrgus malvae), dénommée aussi moins poétiquement le Tacheté. Ce petit papillon trapu a le dessus des ailes brunâtre foncé saupoudré de taches blanches bien marquées disposées de manière irrégulière. Le dessous des ailes est plutôt gris jaunâtre tacheté aussi de blanc. 

Son vol acrobatique et énergique à basse altitude grâce à ses ailes courtes est déconcertant : il lui permet en un éclair de changer de direction… et de le perdre de vue ! L’imago vole en une génération entre fin mars et juin.

L’Hespérie de la mauve apprécie les côteaux fleuris, les prairies humides et au Parc on l’observe surtout sur les dunes ensoleillées. La ponte de plusieurs dizaines d’œufs déposés isolément se fait surtout sur les potentilles, la reine des prés, l’aigremoine, les ronces…. ou les framboisiers dans mon jardin ! 

L’incubation se fait rapidement, entre 7 et 12 jours. La chenille est de couleur jaune pâle avec une bande plus sombre sur le dos. Elle passe son hiver à l’état de chrysalide, attachée au pied de la plante hôte.

Comme tous les papillons diurnes, l’espèce a une tendance au déclin, plus ou moins prononcé selon les régions en Europe, comme c’est le cas dans le nord et l’ouest de la France. Elle demeure rare dans les Hauts-de-France et peu commune en Picardie, et ses observations sur le Parc sont peu courantes.

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Cécile Carbonnier

Si je vous dis Aromie musquée, Oedémère noble, Hanneton bronzé ou encore Chrysomèle du romarin, vous me répondez ? Insectes ? Coléoptères ! Oui, c’est un bon début. Un point commun concernant leurs couleurs ? L’iridescence, exactement Madame ! Et ça sera le sujet du jour : la couleur iridescente de ces petites bêtes qui fait d’elles de véritables petits bijoux sur pattes. Et ce n’est pas rien de le dire…

Écrivons peu mais écrivons bien. Iridescence, ce mot vous parle n’est-ce pas ? Mais sauriez-vous le définir ? Très simplement, c’est un phénomène d’optique selon lequel certaines surfaces semblent changer de couleurs selon l’angle de vue. Phénomène que vous avez déjà dû observer : des bulles de savon par exemple ou une tâche d’essence sur du goudron. Mais quid de nos coléoptères ?

Les coléoptères sont des insectes possédant 2 paires d’ailes. Les élytres tout d’abord : ces ailes antérieures sont dures et coriaces et servent uniquement à protéger les ailes postérieures lorsque l’animal est au repos.

Les ailes postérieures, quant à elles, sont utilisées seulement pour le vol et ne sont donc visibles qu’à ce moment-là. Et c’est au niveau des élytres que tout va se jouer. La suite (simplifiée) juste en-dessous.

Les élytres sont composés de molécules de chitine* assemblées en fibres microscopiques. Toutes ces fibres se superposent les unes sur les autres en feuillets. Finalement, c’est comme un mille-feuille bien compressé et bien serré, fait de couches non pas de crème pâtissière mais de minuscules fibres. Vous obtenez un élytre. Vous êtes toujours là ? Continuons. Dans chacun de ces feuillets, les fibres sont tournées d’un petit angle par rapport aux fibres du feuillet inférieur. Ainsi, lorsque la lumière vient frapper et pénétrer dans l’empilement de ces très fines couches, elle se réfléchit et les ondes lumineuses vont alors interférer entre elles et émerger par la face supérieure. Il en résulte des couleurs interférentielles vives et chatoyantes (l’iridescence) qui dépendent de l’angle d’observation du mille-feuille et de l’orientation de celui-ci par rapport à la source de lumière.

« Pour vivre heureux, vivons cachés » et c’est exactement le rôle que joue l’iridescence sur les coléoptères. Un peu tape à l’œil leur camouflage me direz-vous. Mais efficace ! Ainsi la théorie du naturaliste américain Abbott Thayer (considéré comme le père du camouflage – rien que ça !) entre en jeu. Son hypothèse ? Certaines espèces se camoufleraient dans leur environnement grâce aux variations de leurs couleurs selon l’angle de vue (l’iridescence quoi ; si vous avez suivi jusqu’ici). Hypothèse qui remonte au début du XXè siècle et qui a tant de fois été remise en question. Allons donc, des couleurs si vives pour se camoufler ? Billevesée ! Pour séduire oui ! Hé non, et il aura fallu plus d’un siècle pour confirmer que M. Thayer avait raison (tout de même !) grâce à une équipe de chercheurs britanniques de l’Université de Bristol. 

Voici leur expérience : dans une zone boisée, ils ont épinglé sur des feuilles vertes de véritables élytres de coléoptères irisées (Sternocera aequisignata, splendide insecte originaire de Thaïlande) et de faux élytres en résine recouvertes de vernis à ongles brillant mais non-iridescent (ça a son importance !) de couleurs bleu, vert, violet ou noir. Résultats ? Sur 2 jours, environ 85% des fausses ailes ont été attaquées par les oiseaux contre moins de 20% concernant les vraies. Mais les ailes véritables auraient pu être délaissées exprès par nos amis à plumes peut-être par crainte de toxicité. Hé, pas fou l’animal ! Il faut donc poursuivre l’expérience avec d’autres “pseudo-prédateurs”. Le bipède humanoïde fait donc son entrée en scène sur cette même zone boisée. Et bien moins de 20% des ailes iridescentes ont été repérées contre 80% des modèles non-iridescents.  

Cette expérience a également prouvé que l’iridescence combinée à la réflexion de la lumière contribue fortement au camouflage lorsque les coléoptères sont posés sur une feuille verte. Sur un fond brillant (feuille de houx ou feuilles mouillées) les élytres sont quasiment indiscernables.  Rappelez-vous, l’iridescence dépend de l’angle de vue donc, durant son vol, un oiseau en recherche de nourriture verra les couleurs iridescentes de l’insecte changer durant sa progression.

CQFD ! 

Ce phénomène d’optique n’est pas passé inaperçu auprès de la créativité humaine. La broderie d’élytres entrelacés de fil de métal (d’or en particulier) était de tradition en Inde. Dans les années 1820 et surtout 1850, les Anglais ont adapté cette technique sur des pièces plus légères (en coton ou satin) créant ainsi d’incroyables robes flamboyantes.

L’actrice Charlize Theron revêt une robe brodée d’élytres pour son rôle de la reine Ravenna dans le film Blanche-Neige et le chasseur en 2012. Le plus célèbre exemple restera cette robe entièrement recouverte d’élytres portée par Ellen Terry pour son rôle de Lady MacBeth en 1888. Mais c’est au Palais Royal de Bruxelles, dans le salon des glaces que se trouve sans doute l’une des créations les plus verte…. igineuses : le sculpteur belge Jean Fabre a recouvert les lustres et le plafond de cette salle avec pas moins d’1.4 millions d’élytres de coléoptères !

Mais le spectacle le plus merveilleux se trouvera toujours dans la nature, au coin d’une feuille ou d’une brindille. Si vous avez la chance de croiser la route d’un coléoptère aux élytres iridescentes, prenez un peu de temps pour admirer ses teintes resplendissantes. Il y a de quoi en être vert de jalousie…

*Molécules naturelles contenues dans les carapaces de certains animaux invertébrés (crustacés, mollusques) et dans l’exosquelette de certains insectes et ayant un rôle protecteur.

Texte et illustrations : Eugénie Liberelle

Ce 3 octobre 2024, c’était Halloween avant l’heure au Parc du Marquenterre ! Point de citrouille ni de fantôme dans les allées de la Réserve naturelle, mais l’apparition d’un effrayant crâne décharné à quelques mètres de hauteur, plaqué contre l’écorce grise d’un peuplier, que les toiles d’araignée ne semblaient pas inquiéter… L’identité de ce spectre ? Le bien-nommé Sphinx Tête-de-mort (Acherontia atropos), un immense papillon de nuit aux allures de chauve-souris. 

Ce géant parmi les insectes, dont l’envergure peut atteindre 13 centimètres et le poids avoisiner les 15 grammes pour les plus grosses femelles, se déguise façon frelon : son abdomen massif et velu est rayé en jaune et noir. Ses ailes antérieures brunes, émaillées d’écailles pâles, cachent au repos des ailes postérieures jaune d’or barrées de deux lignes sombres couleur corbeau. Mais ce qui le caractérise, c’est cet étrange motif ocre ressemblant à s’y méprendre à une tête de mort sur la partie dorsale de son thorax densément poilu. Brrr, de quoi faire froid dans le dos !

Mais pas de panique ! On inspire, on expire… Ce grand gourmand n’a rien d’un vampire. Son péché mignon ? Les bonbons au miel ! Ouf, les humains peuvent souffler. Quant aux abeilles, tremblez ! Car ce glouton se transforme en ogre dès qu’il s’agit de se gaver de sa friandise préférée : il n’hésite pas à se faufiler dans les ruches pour piller leur trésor, perforant les opercules de sa trompe robuste, et engloutissant, s’il le peut, son propre poids en délices sucrées. Le goinfre ! Et il ne craint même pas les caries !

Mais comment ce pirate peut-il dévaliser les réserves de nourriture des braves petites abeilles sans craindre les représailles ? Auraient-elles peur de sa tête de mort ? Que nenni. Ce roi de l’illusion est capable de se rendre chimiquement invisible, diffusant des phéromones imitant “l’odeur” de la cuticule (la “peau”) des hyménoptères. De plus, les “cris” stridents et les vibrations qu’il produit en sirotant son breuvage ressembleraient au bourdonnement émis par la reine, et empêcheraient ainsi l’attaque des laborieuses butineuses. À condition que n’éclate pas une révolte ouvrière, qui pourrait bien lui couper… la tête ! 

D’ailleurs, on a déjà retrouvé des cadavres de Sphinx piégés dans les ruches et recouverts de propolis. Les abeilles auraient-elles su monter des barricades ? Pas tout à fait : les papillons goulus, gavés jusqu’au trognon, la trombine barbouillée de cire et les antennes plumeuses toutes collantes, auraient tout simplement été incapables de reprendre leur envol après leur festin orgiaque… 

En revanche, pour ceux qui parviennent à redécoller, le voyage qui les attend décoiffe : en effet, ce grand voilier est connu pour parcourir des milliers de kilomètres en migration ! Parfaitement ! Alors qu’il vit et hiberne principalement en Afrique et sur le pourtour méditerranéen, son incroyable capacité de dispersion l’a déjà mené jusqu’en Islande, en Scandinavie et en Russie, mais aussi à plus de 3000 mètres d’altitude, dans les montagnes suisses. Qui sait, peut-être qu’un jour, ce vagabond troquera les bonbons au miel pour des douceurs au chocolat…?

Quoi qu’il en soit, pas question de donner des confiseries à ses chenilles : ces grosses mémères dodues, tantôt jaune citron, tantôt vert pomme, parfois brun cacao, se développent sur diverses plantes souvent toxiques, comme celles de la famille des Solanacées, appréciant particulièrement le feuillage de la pomme de terre. Une fois repues et arrivées au terme de leur croissance, elles s’enterrent dans le sol pour se nymphoser. C’est là que se produira la formidable métamorphose qui fera d’elles ce papillon spectaculaire aux mœurs fascinantes… 

Si l’étymologie de son nom fait froidement référence au royaume des morts – Achéron étant le fleuve des Enfers chez les Grecs, et Atropos l’une des trois Moires qui coupait le fil de la vie des mortels -, si la culture populaire l’a érigé en symbole de l’horreur – oui, c’est bien lui qui scelle la bouche de Jodie Foster sur l’affiche du Silence des agneaux -, voyons au contraire en ce seigneur des airs un superbe emblème du vivant, bien incapable de nous jeter des sorts, mais dont le sort nous concerne tous !

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier

Victime de nombreux préjugés, la Tégénaire domestique (Tegenaria domestica) est une « petite » bête au physique impressionnant, régulièrement visible à la maison ou dans nos postes d’observations. Découvrons ensemble les habitudes de vie et les services que la plus grande araignée de France métropolitaine peut nous rendre.

Un physique atypique

Très facile à identifier, la tégénaire déplaît à beaucoup de personnes. En effet, son corps poilu mesure un peu plus de 1 cm de longueur, mais son envergure peut atteindre 5 à 10 cm. La femelle est d’ailleurs un peu plus grande que le mâle, et a une durée de vie plus longue, pouvant atteindre 4 à 5 ans selon les individus. Ses 8 longues pattes velues lui permettent de se déplacer très rapidement (jusqu’à 1.9km/h) au sol ou sur les murs. Cette arachnide (classe des araignées, scorpions et acariens) est plutôt sombre, avec 2 bandes claires sur les côtés du céphalothorax (partie antérieur du corps). Son abdomen est brun avec des séries de taches claires au-dessus. Présente sur notre continent et en Afrique du Nord, elle fait partie des araignées que l’on retrouve le plus couramment dans nos habitations. 

Mode de chasse

Tapie dans l’ombre, la tégénaire tisse une toile particulière en forme de hamac ou de nappe, comportant une ouverture en entonnoir. Les soies de sa toile ne sont pas collantes, mais perçoivent  les vibrations de ses éventuelles proies (moustiques, mouches, papillons, blattes, etc). La belle sort alors de sa cachette pour mordre son repas en injectant des enzymes qui ramollissent les tissus : il ne reste alors plus qu’à siroter son délicieux mets. 

Un amour dangereux

Lors de la période de reproduction, les mâles arpentent vos maisons en quête d’amour. Il font preuve d’une extrême vigilance afin de ne pas être confondus avec une proie, auprès des 8 yeux de leur bien-aimée. Ce courageux musicien touchera alors la toile de façon régulière et contrôlée, puis attendra la réaction de la femelle. Si le charme opère, après environ 1 mois de gestation, Madame Tégénaire pondra 40 à 60 œufs blanc protégés par un cocon. Les petits restent avec leur mère jusqu’à leur troisième mue, avant de partir à la découverte du monde.

Inoffensive auxiliaire

Cette grande araignée domicole (qui vit dans les habitations) ne s’attaque jamais à l’homme, elle opte systématiquement pour la fuite en cas de menace humaine. Comme nous l’avons abordé, la tégénaire est plutôt une bonne alliée pour nos maisons. Elle nous protège par sa prédation des moustiques, mouches et moucherons. Véritable maillon essentiel à la chaîne alimentaire, laissons-la vivre, apprenons à la tolérer plutôt qu’à la détester ! 

Texte : Maxime Petit / Illustrations (Eratigena sp.) : Cécile Carbonnier

Cet article va s’intéresser à des petites bêtes peu ragoûtantes: les sangsues. Ces animaux, presque considérés comme des monstres gluants et suceurs de sang dans l’imaginaire collectif, sont-ils réellement si terrifiants ?

Présentation

Les Hirudinea, Achètes ou Sangsues sont une sous-classe de l’embranchement des annélides (vers). Chez toutes les sangsues, le corps est composé de 33 segments. Cet ensemble regroupe environ 650 espèces hermaphrodites et leur taille varie de 1 à 30 cm. Selon les espèces, elles peuvent nager ou se déplacer comme les chenilles arpenteuses. L’espérance de vie de ces dernières est en moyenne de 20 ans, et elles sont capables de survivre plus de 2 ans après un seul repas ! Arpentant leurs lieux de vie en quête de nourriture, ces petits carnivores se fixent sur leur proie grâce à leurs ventouses pourvues de mâchoires. Certaines se nourrissent alors de larves d’insectes, de vers, ou de petits invertébrés peuplant le milieu aquatique. Les plus redoutés de l’homme sont les hématophages, autrement dit celles qui se nourrissent de sang, car elles peuvent apprécier celui de l’être humain…

 

L’homme et les sangsues

Les scientifiques s’intéressent à ces animaux depuis plus de 2000 ans, notamment pour soigner les êtres humains. En effet, la salive de certaines sangsues contient de l’hirudine, une substance ayant des vertus anticoagulantes, cicatrisantes, anesthésiques et anti-inflammatoires. Elle permet, entre autres, de lutter contre les infections microbiennes et même de drainer le surplus de sang après une intervention de chirurgie plastique. Bien que redoutées par les baigneurs, les sangsues ne sont finalement pas détestées par tout le monde. Une compagnie en Angleterre s’est même spécialisée dans la commercialisation de ces animaux !

État des populations

La récolte excessive des sangsues dans le milieu naturel a conduit au déclin des populations : la Sangsue médicinale (Hirudo medicinalis), la plus connue, est actuellement une espèce devenue rare en France et mériterait d’être protégée. Ces petits êtres visqueux nous sont mal connus ; ayant des comportements variés en fonction des espèces, ils ont très certainement bien des trésors de connaissances à nous révéler…

Texte : Maxime Petit / Illustration : Lucie Ligault / Vidéo : Cécile Carbonnier