De plumes et de notes
Alors que la saison de reproduction bat son plein, impossible de se déplacer sans être accompagné de chants d’oiseaux. Ils retentissent de toutes parts, transformant chaque chemin en véritable orchestre. Le Phragmite des joncs se laisse écouter en tout point du Parc, les Pouillots véloces et les Pouillots fitis rivalisent de leurs ramages au milieu des saules, et à ces chanteurs précoces sont venus s’ajouter Rossignol philomèle, Grive musicienne, et le métronomique Coucou gris, entre autres. Il est alors facile pour l’esprit de se perdre dans une contemplation musicale, entraînante et inspirante.
Nombre de compositeurs à travers les époques nous ont laissé dans leurs œuvres des preuves du dialogue incessant entre la nature et les arts, ici musicaux, alors embarquons aujourd’hui pour un tour d’horizon (non-exhaustif) des œuvres musicales inspirées de chants d’oiseaux, voire directement composées à partir d’eux.
Le nom d’Olivier Messiaen vient souvent à l’esprit lorsque l’on évoque les chants d’oiseaux dans la musique. En effet, le titre de son œuvre de 1959, Catalogue d’oiseaux, est très évocateur et ne laisse pas de doute possible quant à la source de ses pièces. Il faut néanmoins user de beaucoup d’imagination pour retrouver l’Alouette lulu, la Rousserolle effarvatte, ou encore la Bouscarle de Cetti entre les lignes des portées. Il le précisait d’ailleurs lui-même, il ne faut pas chercher l’oiseau seul dans les notes, mais aussi les provinces, les paysages, les couleurs…
Messiaen est cependant loin d’être le seul à s’être inspiré de nos voisins ailés, et ce sont de nombreuses espèces que l’on peut reconnaître plus ou moins distinctement au gré des œuvres musicales de ces derniers siècles.
Plongeons par exemple au début XIXème siècle, alors que le classicisme cède la place au romantisme et que les artistes se tournent vers la nature. Dans sa Symphonie n°6, dite Pastorale, Ludwig Van Beethoven cite directement sur sa partition le rossignol, la caille et le coucou, respectivement interprétés par la flûte, le hautbois et la clarinette à la fin du deuxième mouvement. Ces chants viennent compléter un tableau de scène au bord d’un ruisseau, où les cordes frottées imitent les ondulations des flots.
Toujours dans ce siècle du romantisme, en 1886, c’est au tour de Camille Saint-Saëns de proposer un véritable bestiaire avec le Carnaval des Animaux. Les oiseaux y ont la part belle, évoqués sur quatre des morceaux de cette suite. Dans « Poules et Coqs », les instruments de l’orchestre se livrent à une imitation inattendue de caquètements. Pour « Le Coucou au fond des bois », c’est à nouveau la clarinette qui est choisie pour répéter inlassablement (21 fois) la si reconnaissable tierce du fameux cuculidé, alors que le piano nous évoque les pas prudents de l’observateur qui tente de s’approcher discrètement de l’oiseau. « Volière » emmène l’auditeur au milieu d’un gracieux tourbillon de bruissements d’ailes et de gazouillis, grâce aux trilles de la flûte, doublée par le piano et soulignée par les trémolos des cordes. Enfin, dans « Le Cygne », Saint-Saëns nous offre une magnifique interprétation au violoncelle et au piano de la légende de son chant. Selon une croyance de la Grèce antique, le cygne, connu pour son cri dissonant, chanterait divinement bien juste avant de mourir. De là nous vient l’expression du « chant du cygne », pour désigner une ultime œuvre remarquable, un moment de grâce final.
La liste est encore longue, entre les oiseaux évoqués dans « Le Printemps » des Quatre saisons de Vivaldi (1725), l’oiseau et le canard du conte symphonique Pierre et le Loup de Sergueï Prokofiev (1936), mais revenons au XXI ème siècle pour terminer notre exploration musicale avec le talentueux Cosmo Sheldrake, artiste multi-instrumentiste et compositeur anglais.
Dans son album Wake-up Calls, chaque titre est associé à une espèce d’oiseau menacée du Royaume-Uni. Les chants des oiseaux concernés ont été enregistrés par l’artiste entre 2011 et 2020, puis retravaillés et associés afin de créer 13 pistes avec chacune leur musicalité et leur ambiance. L’album s’ouvre sur l’engoulevent et se clôture avec les chouettes, et nous offre entre les deux de véritables paysages sonores de l’aube au crépuscule. Fervent défenseur de l’environnement, Cosmo Sheldrake considère ses morceaux comme des œuvres collaboratives inter-espèces, et souhaite créditer autant que lui-même le Butor étoilé, la Rousserolle verderolle ou la Grive draine. Et c’est précisément ce qu’il a fait en créditant « La Nature » sur ses albums et en reversant 50% de ses droits d’auteurs à des associations naturalistes à travers la fondation « Earth Percent » et au programme de fonds « Sounds Right ».
Voici une belle invitation à tendre l’oreille pour profiter des talents de la plus grande de toutes les musiciennes : la Nature.
Texte : Lauriane Savoie / Illustrations : Alexander Hiley
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