Le 18 mai, depuis les roselières en extension sur le parc, résonnent les symphonies plus ou moins harmonieuses des passereaux paludicoles du site : Rousserolles effarvattes ou verderolles, Bruant des roseaux ou Phragmites des joncs sont en concert même si hélas bien peu de personnes en profites ! Au pied du poste 4, un chant puissant et grinçant laisse à penser à un rainette plus mélodieuse ou une Effarvatte bien enrouée. Un superbe mâle de Rousserolle turdoïde chante bien en évidence au sommet d »un roseau. C’est la plus grosse des rousserolles européennes (plus de 30 grammes et une vingtaine de centimètres soit le double de sa cousine effarvatte) et son bec fort est caractéristique. Elle recherche normalement les vieilles phragmitaies très inondées avec des roseaux à fort diamètre (supérieur à 6mm). Cette espèce est en net déclin en France avec 2000 à 3000 couples nicheurs en 2012 ce qui est bien peu pour un passereau. Ce ne fut pas toujours le cas. Ainsi en Picardie la population était estimée à 250 couples en 1987 , chutant entre 40 et 60 en 1995, puis plus que de rares chanteurs isolés dans l’Aisne ou l’Oise dans les années 2000. Sur le parc cette espèce n’ a été notée que deux fois en 47 ans : un chanteur le 17 mai 1985 et un oiseau bagué le 31 août 2015 en migration postnuptiale. C’est une grande migratrice qui nous quitte dès fin août pour gagner le sud du Sahel jusqu’en Afrique du Sud. Ce chanteur peu discret est de nouveau bien présent le 25 mai. Son attitude à la vigilance exacerbée à la vision du moindre passereau dans la phragmite montre que on a hélas affaire pour l’instant à un mâle encore célibataire !
Parfois rares, souvent drôles, toujours de bon augure : découvrez ici les oiseaux qui nous ont rendu visite
Au lever du jour des cris de contact aigus, à peine audibles, s’entendent au-dessus des maisons… Il s’agit des Pipits farlouses en pleine migration. Repérés dans un ciel bleu avec les jumelles, leur vol bondissant en groupe dispersé le confirme. Plus tard c’est au tour des Goélands bruns. Leur grandes envergure aux ailes fines, les fait plus facile à repérer cette-fois-ci, eux aussi, en provenance d’Afrique, ont entamé leur grand voyage vers les régions nordiques. Ils ont les ailes gris foncées et le ventre blanc immaculé. Contre un ciel bleu le contraste des couleurs est splendide ! En fin de matinée dix Spatules blanches survolent Arry, un village en arrière littoral. Elles tournent sur une colonne d’air chaud avant de « glisser » doucement vers le nord. Nul besoin d’être à la campagne pour créer son propre « spot » de suivi de migration. Ces observations ont été signalées la semaine dernière à Rue, Abbeville, et au centre-ville d’Amiens… Poussées par le besoin de retrouver au plus vite les meilleurs territoires de reproduction, des milliers d’oiseaux migrateurs filent vers le nord survolant notre territoire. Pour profiter du spectacle, il suffit de lever les yeux…
Mais comment sait-on que le Héron cendré en vol lent et régulier au-dessus de notre maison, appartement, ou studio est en migration et pas simplement en train de faire ses « courses de première nécessité » au bassin du voisin ? Comment sait-on que la Buse variable qui tourne en altitude a mis le cap sur la Scandinavie et n’est pas juste un oiseau « local » en train de se dégourdir les ailes ?
Il faut déjà prendre en compte les conditions météo. Grand soleil, ciel bleu, températures élevées.. Le beau temps continue à nous narguer en ce moment. Et on ne peut même pas en profiter ! Nul besoin alors d’écouter les prévisions ! Pas si vite! Mettez-vous dans la tête d’un oiseau. Après tout, pour eux la météo joue un rôle crucial dans leur survie… voilà une bonne raison d’écouter Evelyne Dhéliat jusqu’au bout ! Ce beau temps printanier est synonyme de migration. Alors c’est parti pour guetter au ciel depuis votre balcon, fenêtre ou transat (pour les plus chanceux!).
Si un ciel dégagé permet aux oiseaux de mieux se repérer aux traits de côtes, vallées, fleuves (ou la lune et les étoiles pour les migrateurs nocturnes), encore faut-il surtout que le vent soit bien orienté pour économiser un maximum d’énergie. Nul doute qu’un vent de dos est plus propice pour migrer efficacement. Logique. Faire du vélo avec un vent de face est moins rigolo, non ! Cependant, par vent de sud les oiseaux risquent de voler très haut, à peine perceptibles même avec une paire de jumelles puissantes. L’altitude moyen d’un vol migratoire se situe entre 800 et 1500 mètres !
L’observation de la migration active est rendu plus facile par un vent de face (est ou nord-est au printemps, sud ou sud-est à l’automne). Les oiseaux volent plus bas, et sont donc plus visibles, car la vitesse du vent est freiné par les obstacles au sol. Les « spotteurs » aux sites de suivi en Baie de Somme raconteront les matinées avec des milliers d’hirondelles et de martinets qui passent à toute vitesse « dans les cheveux » par vent nord-est. En général les journées pluvieuses sont à éviter. Tous, sauf les migrateurs les plus robustes et de rares espèces comme les tarins, s’accorderont une petite pause et évitent de lutter contre les éléments. Ils continueront leur périple dès la prochaine accalmie.
N’oubliez pas de mettre votre réveil ! Certes c’est bien dur de se motiver à se lever tôt pendant le confinement mais, comme le dit le proverbe anglais, « the early bird catches the worm » (traduction: « l’oiseau qui se lève tôt capture le premier vers » ou plutôt « le jour appartient à ceux qui se lève tôt ») ! Et puis on fera la grasse matinée… demain ! Le meilleur créneau pour observer la migration est dès le lever du jour. Après quelques heures de vol, en mi-matinée, le flux ralentit. Une pause ravitaillement s’impose pour la plupart des migrateurs. Leur voyage reprendra le lendemain ou même à la tombée de la nuit. Si vraiment vous n’êtes pas matinal, rassurez-vous, vous n’êtes pas le seul ! Rapaces et cigognes ne commencent à s’activer qu’à partir de la fin de matinée quand l’air est réchauffé et les ascendances thermiques leur permettent de planer avec beaucoup plus de facilité. Hirondelles et martinets peuvent aussi continuer leur migration toute la journée. Adaptés à se nourrir en plein vol il ne sont pas obligés de s’arrêter pour « refaire le plein » à l’inverse des autres grands voyageurs.
A vous de jouer alors. Prenez un thé, café, ou même un petit apéritif ou une bière locale (toujours avec modération… pour les migrateurs de l’après-midi !), positionnez-vous face au sud, carnet et jumelles en main. « Balayez » le ciel et essayez de repérer les oiseaux qui passent. La séance d’observation peut démarrer ! Observez, notez, laissez-vous emporter par la magie de la migration des oiseaux… le confinement devient loin. Pourquoi ne pas se fixer un créneau tous les matins ? Au fil des jours la diversité d’espèces va évoluer. Vous serez sans doute étonné par tout ce qui passent au-dessus de chez vous….

Les tempêtes et coups de vent qui s’enchaînent sans arrêt sur notre littoral depuis plus de quinze jours sur notre littoral n’avaient pas encore donné lieu à des oiseaux pélagiques venant s’abriter sur le parc. Il faut dire que plus de la moitié des vents ont été de direction du sud ouest ou du sud plutôt favorables à la remontée des oiseaux marins en ce mois de février.
Ce fut la bonne surprise de voir pendant quelques minutes un Grand Labbe se poser sur l’eau au poste 3 au milieu des tadornes. Cet oiseau imposant à la masse comparable au Goéland marin (1200 à 1600 grammes) niche en Norvège, dans le nord de l’Ecosse et sur le littoral russe et hiverne en mer. Il se nourrit de poissons, d’oiseaux marins et comme les autres labbes il harcèle les oiseaux piscivores en vol pour leur dérober leur pêche (« kleptoparasitisme« ) Il est observé presque annuellement sur le parc d’août à février avec une rare observation en juin. En 2007 sur le parc, là encore lors de forts coups de vent, 4 oiseaux ont été observés se nourrissant d’un cadavre de Tadorne de Belon le 6 janvier.
Le samedi 22 février une femelle adulte de Faucon pèlerin entame un piqué sur un groupe de Sarcelles d’hiver. Gênée par le vent, elle n’arrive pas à redresser sa trajectoire pour capturer un des oiseaux. Finalement, elle se pose sur le cadavre ancien d’un Goéland marin adulte et commence à le plumer avant de s’en désintéresser. Elle reviendra quelques minutes plus tard en entamant cette fois ci la chair.
En consultant la littérature abondante sur le Faucon pélerin, on ne mentionne jamais le côté charognard chez cette espèce que l’on retrouve chez de nombreuses autres espèces de rapace (buses, milans, busard des roseaux, aigles…). Le Faucon pèlerin se nourrit en effet presque exclusivement d’oiseaux capturés envol, les observations de captures de mammifères ou de batraciens restent bien rares. Il se peut que la longue période de vent très handicapante par la chasse des rapaces diurnes et surtout nocturnes, a obligé le rapace à se reporter sur un repas bien moins noble…
Déjà l’année dernière, une femelle de Pèlerin de deux ans avait, par grand vent, en un vol rasant capturé au sol une Foulque. Autre surprise, cet oiseau est porteur d’une bague couleur qui va nous permettre de connaître son origine dans un contexte d’expansion de l’espèce notamment dans les milieux urbanisés permettant le baguage des poussins au nid.
Photos: Armelle et Jean Claude Guillo
Les premières Mésanges noires sont observées et baguées au Parc du Marquenterre. Cette petite (9 grammes) au dessous chamois et à la tache blanche derrière sa grosse tête noire est tributaire des forêts de conifères ; elle est souvent associée au Roitelet huppé.
Sont-ce les prémices d’une nouvelle irruption d’ampleur nationale ? Comme les geais, les populations nordiques de Mésanges noires, notamment celles de la taïga russe et des bords de la Baltique, subissent des exodes dus à la combinaison d’un manque de graines d’épicéas et, localement, d’une forte densité de ces passereaux. Est-ce aussi une conséquence des vastes incendies de cet été dans la forêt boréale orientale ?
Alors que depuis les années 1988 ces invasions en nombre se produisaient tous les 3 à 5 ans, elles se déclenchent maintenant tous les 2 ans, montrant une dégradation brutale des sites de reproduction. La dernière en date a eu lieu en 2017 : en deux mois 605 oiseaux avaient été bagués au Parc du Marquenterre, avec des contrôles d’oiseaux bagués début septembre sur la station de Ventes Ragas en Lituanie près de la ville russe de Kaliningrad. À ce rythme les populations risquent de ne pas pouvoir se maintenir sur le long terme. En effet on estime qu’à peine 10% de ces dizaines de milliers (millions ?) d’oiseaux (en majorité des juvéniles) arrivant vers l’ouest de l’Europe remonteront sur leur site d’origine de reproduction au printemps suivant.
Texte : Philippe Carruette
Illustration : Alexander Hiley
Depuis début septembre, on remarque des Geais des chênes isolés ou en petits groupes, avançant assez haut dans le ciel de leur vol malhabile, aussi bien dans les vallées que sur les plateaux dénudés. Ces mouvements n’ont fait que s’accentuer vers la fin du mois : on en a dénombré parfois plusieurs centaines en une matinée sur les sites de migration privilégiés de l’intérieur des terres, dans l’Oise ou dans l’Aisne. Une nouvelle invasion se dessine nettement déjà, très perceptible en Belgique et aux Pays Bas.
Ce véritable exode concerne des geais venant sûrement d’Europe du nord et de l’est – hélas peu d’oiseaux pourront être bagués sur nos stations de baguage ; après plusieurs années de reproduction favorable, ils se retrouvent en “surnombre” à une saison où la richesse en nourriture n’est pas au rendez-vous du fait d’une mauvaise fructification des arbres et arbustes. Une seule solution, notamment pour les juvéniles moins casaniers et territoriaux : partir en masse vers le sud-ouest.
Le geai est un oiseau forestier. Son vol est généralement bas, lent, ses ailes rondes sont mieux adaptées à la circulation entre les arbres qu’à un vol au long court… Passer au-dessus de grands espaces ouverts comme la baie de Somme va profondément stresser ces petits corvidés vulnérables alors à la prédation du Faucon pèlerin ou de l’Autour. Ainsi sur le littoral, où cette irruption commence à se faire sentir, les geais venant du nord et passant au-dessus du point de vue du Parc ont soudain une véritable répulsion marine, notamment à marée haute ! Marche arrière toute, pour contourner ces espaces infinis, en passant par les zones arrière littorales plus végétalisées et bocagères… du moins l’espèrent-ils !
La dernière irruption importante de geais a eu lieu en 2012 ; les plus spectaculaires et remarquées par tous au quotidien ont été celles de 1977, 1996 et 2005. Elles avaient d’ailleurs concerné toutes les espèces forestières comme les pics, sitelles, bec-croisés, grimpereaux et mésanges.
Texte : Philippe Carruette
Illustrations : Eric Penet