À l’écoute de la nature
Fin juin, la campagne de baguage au nid des poussins de Cigogne blanche bat son plein en Picardie et dans le Pas-de-Calais, le Nord et la Seine-Maritime. Un programme personnel dirigé par Christophe Hildebrand a été obtenu auprès du Muséum de Paris pour continuer à baguer ces grands échassiers qui ne le sont plus ailleurs en France. La population du Nord de la France est en pleine expansion, et mérite encore d’être suivie dans son évolution et ses déplacements, tant pour les juvéniles que pour les adultes. La majorité des nids concernés sont sur des plateformes construites par l’homme pour pouvoir accéder aux poussins et les baguer, comme le font chaque année les guides naturalistes du Parc du Marquenterre, depuis près de 50 ans.
Une petite partie de la centaine de nids connus dans notre région des Hauts-de-France est visitée par les naturalistes bagueurs régionaux. Certains poussins dont les nids sont inaccessibles, trop hauts, dans des arbres morts ou situés dans des héronnières ne peuvent être bagués pour la sécurité des oiseaux… et du bagueur ! Les cigogneaux sont pesés, mesurés. Le bagueur leur pose une bague métal numérotée gravée du Centre de recherches sur la biologie des populations d’oiseaux. Une bague plastique de couleur verte avec 4 lettres blanche est rajoutée à l’autre patte pour permettre l’identification à distance des individus.
Les jeunes sont bagués à 6 ou 7 semaines, quand la patte est bien développée et qu’ils commencent à se mettre régulièrement debout sur le nid. Quatre plumes sont récoltées pour permettre d’effectuer des analyses ADN. On ignore s’ il y a une réelle différence de sites d’hivernage entre jeunes mâles et jeunes femelles, et s’ il y a une colonisation des sites différente entre mâle et femelle. On sait par contre que la majorité de « nos » jeunes cigognes « picardes » hivernent dans le sud de l’Espagne et du Portugal (région de Faro). Récemment, un jeune bagué en 2023 à Boismont a été contacté au Maroc à Kenitra. D’autres vont plus rarement jusqu’au au Mali, en Mauritanie ou au Niger. Pour cela, ils longent les côtes françaises ou passent à l’intérieur des terres par la Mayenne, l’Indre et Loire, Les Deux Sèvres, l’Allier.
Relativement peu de jeunes nés en Picardie reviennent nicher chez nous après avoir hiverné théoriquement deux ans plus au sud. Toutefois, de plus en plus de jeunes retournent au bout d’un an seulement en Europe. Est-ce le fait d’une détérioration des sites d’hivernage plus méridionaux ? À l’inverse, des jeunes nés et bagués en Picardie nichent maintenant en Belgique, aux Pays-Bas, en Vendée, en Loire-Atlantique et même à Colmar en Alsace !
Les nouveaux nicheurs des Hauts-de-France viennent aussi bien de Belgique et des Pays-Bas, que de Loire-Atlantique. La disparition des centres d’enfouissement, source de nourriture facile, fait que les oiseaux hivernent maintenant en moins grand nombre sur la côte picarde. Grâce aux bagues, on sait que les oiseaux se sont reportés sur les décharges du Calvados, d’Espagne autour de Madrid ou beaucoup plus près, sur celles de Dannes ou d’Avesne dans le Pas-de-Calais.
La mortalité, notamment chez les juvéniles, peu expérimentés, reste néanmoins toujours très forte, entre électrocution, sécheresses sahéliennes et multiples autres causes. Avec le printemps doux, la nidification reste correcte cette année mais la sécheresse semble avoir fortement impacté la nidification en Alsace, en Belgique sur des milieux plus anthropisés et banalisés.
Le nombre de poussins est totalement tributaire des ressources en nourriture. La base du régime alimentaire est composée de rongeurs, batraciens et insectes, mais tout ce qui circule sur le sol ou dans l’eau à proximité du bec est une proie potentielle. Tout comme pour le Héron cendré, les cigognes se nourrissent beaucoup dans les prairies, hauts lieux de la biodiversité, qui ne peuvent être maintenues que par la présence des agriculteurs éleveurs.
Tous ces poussins partiront en migration dans quelques jours, sans les adultes, généralement après le 20 juillet. Une partie de ces adultes partira à partir de la mi-août, après avoir effectué la mue. Tous ont impérativement besoin des courants d’air chaud pour pouvoir utiliser leur économique vol plané.
La Cigogne blanche revient de très loin. En 1979, il ne restait plus que 11 couples dans toute la France dont 9 en Alsace. Entre réintroductions, poses de plateforme de nidification, extension des populations espagnoles, hivernage de plus en plus important en Europe, les effectifs se sont progressivement bien étoffés, atteignant maintenant plus de 3200 couples. Les régions phares pour l’espèce sont la Charente-Maritime, les Landes, La Manche, et bien entendu… l’Alsace !
L’espèce a toujours niché en Picardie, certes en petit nombre, mais un nid était connu en 1837 au Crotoy. En 1944, les troupes allemandes en retraite ont mitraillé un nid à Becquerel près de Rue. Liée à la présence humaine, notamment aux prairies de fauche et d’élevage, la Cigogne blanche sauvage reste le garant de milieux ruraux diversifiés et à la biodiversité importante. Point de tradition de nidification sur le toit des maisons dans notre région où les couples installent leur gros nid en branchages surtout sur de gros arbres morts, en marais ou en pinède sur le littoral. Au Parc du Marquenterre, l’essentiel des nids est dans la forêt de pins. L’extension des effectifs continue, avec de nouveaux couples en vallée de l’Oise et dans le nord l’Aisne, et dans l’est de la Somme jusqu’à Amiens, avec un nid récent près de Conty.
Texte et illustrations : Philippe Carruette
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