L’emblème historique en sursis
La mi-septembre a été l’occasion d’observer en migration un passereau devenu bien rare en Picardie : le Tarier des prés. Jusqu’à 11 individus – surtout des juvéniles – ont été notés sur les digues sèches des postes 4 et 11. Perchés sur des tiges d’onagre ou à la tête d’un argousier, ils ont fière allure avec le sourcil clair, la poitrine orange brique, et leur air hautain de scruteur du ciel. Ils capturent en effet les insectes au sol ou en plein vol, à la manière du gobemouche.
Ce grand migrateur transsaharien (hivernant du sud du Sahara à l’Afrique centrale) a une prédilection, en période de nidification, pour les bas-marais et prairies de fauche. Le milieu qu’il ne fallait vraiment pas “choisir” en ce moment ! Son déclin, déjà bien amorcé dans les années 1980, est aujourd’hui consumé et en parfait parallèle avec la disparition de l’élevage en prairie naturelle, la pratique de fauche pour le foin, et la baisse drastique des insectes volants de milieux ouverts. Le Tarier des prés fréquente aussi les prairies alpines, les tourbières à molinies et les landes à bruyères, où là aussi son déclin est plus que conséquent dans ces habitats pourtant épargnés. On ne le trouve plus qu’en haute altitude, en limite des boisements, peut-être du fait aussi du réchauffement climatique. De plus, sur ses zones d’hivernage, il est fortement tributaire des irruptions de termites volantes liées aux pluies qui doivent être précoces, afin qu’il accumule des réserves de graisse indispensable à un voyage de retour de parfois 6000 km…
Un ensemble de spécialisations guère au goût du jour ! Nicheur commun au 19ème siècle dans la Somme, on ne l’a plus observé que dans basse vallée de la Somme sur le littoral (marais des Quatre-Cents Coups, renclôtures de Boismont…). Il semble que l’espèce soit désormais éteinte en période de reproduction dans ce département. Un mâle était cantonné à Boismont il y a quatre ans sans qu’une femelle ne le rejoigne. Pour la Picardie, les dernières populations viables sont localisées dans les prairies inondables de la vallée de l’Oise, entre Thourotte et Hirson, et en Thiérache au niveau des affluents de l’Oise dans l’Aisne. En 20 ans, le constat est clair : la France a perdu 75% des effectifs de cet emblème historique des prairies naturelles…
Texte : Philippe Carruette
Illustrations : Matthieu Robert